par Andrew Korybko.
L’alliance Quad, comportant l’Australie, l’Inde, le Japon et les États-Unis, et bâtie à l’initiative de ce dernier pays, pourrait être au bord de l’effondrement si l’on en croit Subramanian Swamy, l’influent idéologue du BJP, qui a prévenu : Washington pourrait expulser New Delhi du bloc si cette dernière décidait de concrétiser son projet d’achat de missiles de défense S-400.
Le Quad constitue l’un des blocs géopolitiques les plus conséquents du XXIe : il s’agit d’une alliance anti-chinoise, menée par les États-Unis, qui intègre également l’Australie, l’Inde et le Japon. Elle constitue l’un des plus grands défis stratégiques envers l’Ordre mondial multipolaire en émergence, du fait du potentiel dont elle dispose quant à contrer la montée historique de la Chine, et le nouveau modèle de Relations internationales que ce pays apporte au premier plan des affaires globales. La plupart des analystes se sont posés la question qui suit : que pourrait-on bien faire pour mettre fin au Quad ? Mais la plupart d’entre eux ont conclu par un aveu d’impuissance et semblent avoir accepté celle-ci comme un fait accompli que nul ne peut empêcher. Ce fatalisme stratégique pourrait bien se révéler avoir été quelque peu prématuré, avec l’avertissement public émis jeudi 25 mars par Subramanian Swamy, l’idéologue du BJP [Bharatiya Janata Party, ou Parti Indien du Peuple, NdT] sur Twitter.
Sputnik, le média international fonctionnant sur fonds publics russes, a rebondi sur son tweet, qui disait : « Je note qu’aucun des faits énoncés par moi sur Twitter ne s’est avéré faux : 1. la Chine a traversé la LAC [Line of Actual Control, NdT] et occupé notre territoire. 2. Le gouvernement dit à tort que le désengagement a amené à un retrait de la PLA [Armée populaire de libération, NdT] du côté indien de la LAC. 3. L’acquisition par l’Inde de S-400 russes amènera à l’expulsion de l’Inde du Quad par les États-Unis ». Le lecteur devrait également garder à l’esprit que Swamy avait publié en octobre 2020 un article haineux anti-russe, qui avait déclenché à l’époque une très forte condamnation de la part de l’Ambassade de Russie en Inde. L’Inde a le droit de mener ses affaires étrangères comme elle l’entend, en accord avec ce qu’elle décrit comme sa stratégie de « multi-alignement », mais il n’y a guère de question, à la lumière des affirmations récentes, quant au fait que Swamy est de toute évidence pro-étasunien, et présente une vision qui est à tout le moins hostile envers la Russie.
Les déclarations de ce personnage influent sont en contradiction avec ce que les gouvernements russe et indien considèrent officiellement comme leur partenariat stratégique spécial et privilégié, qui a au cours des dernières années connu une renaissance, surtout depuis la participation au mois de septembre 2019 du premier ministre Modi au Forum Économique Oriental, à Vladivostok, au rang d’invité d’honneur du président Poutine. Malgré quelques secousses sur le chemin parcouru au cours des dix-huit mois qui ont suivi, les liens ont tendance à se resserrer, comme en atteste la visite à Moscou de Shringla, secrétaire aux affaires étrangères, le mois dernier. Il est clair que les relations russo-indiennes restent fortes, ce qui produit un élément de certitude crucial au milieu de ce que l’on peut décrire comme la Guerre mondiale du Covid, c’est-à-dire les processus de changement de paradigme tous azimuts, catalysés par la tentative internationale incoordonnée de contenir la Covid-19.
Les menaces répétées des États-Unis quant à sanctionner l’Inde pour son projet d’acquisition de S-400 russes impliquent un risque de complication des relations étasuno-indiennes, surtout pour ce qui concerne leur coopération militaire, jusqu’ici étroite, pour « contenir » la Chine au travers du Quad. Néanmoins, le premier ministre Modi reste déterminé à procéder à cette acquisition, ce qui témoigne de la place important qu’il accorde à la Russie dans son exercice « d’équilibrage » de « multi-alignement », et indépendamment de son exécution de cet exercice par le passé. L’avertissement émis par Swamy peut donc être interprété comme une pression sur le premier ministre depuis son propre gouvernement, ce qui montre que des forces très influentes ne sont pas en accord avec la stratégie du premier ministre Modi. Ces forces feraient sans doute bien de revoir leur position, car il relève sans doute de l’intérêt général de l’Eurasie que l’Inde conclue cette acquisition de S-400 avec la Russie.
De fait, il se pourrait que Swamy ait pour une fois raison, bien que cela puisse être au détriment de la vision stratégique d’alignement étasunien qui est sienne. Si l’Inde procède à cette acquisition de systèmes russes de défense aérienne, les États-Unis pourraient ne pas expulser formellement l’Inde hors du Quad, mais leur coordination militaire anti-chinoise s’en verrait très certainement perturbée, surtout si les États-Unis imposent des sanctions contre l’Inde comme ils ont menacé de manière répétée de le faire. Mais cela tendrait à renforcer les liens entre l’Inde et la Russie et la Chine, et donner un élan tout à fait attendu à une revitalisation de leur coopération trilatérale au travers du RIC, et renforcer également les BRICS et l’OCS. De quoi, par rebond, accélérer la montée du siècle eurasiatique, tel qu’il a été articulé récemment par les dirigeants pakistanais au cours de l’inauguration de la semaine dernière du Dialogue d’Islamabad sur la Sécurité.
En lien avec tout cela, il mérite également d’être noté que les liens entre l’Inde et le Pakistan se dégèlent peu à peu par suite des récents développements entre les deux pays, surtout avec le cessez-le-feu surprise du mois dernier, qui continue d’être respecté au moment de la publication du présent article, et avec les rapports antérieurs signalant que les Émirats Arabes Unis essayent en secret de négocier une solution plus générale au problème reconnu par le Conseil de Sécurité de l’ONU du territoire du Cachemire. La réduction de l’influence étasunienne, qui promet de se produire comme résultat de l’imposition probable de sanctions par Washington contre New Delhi, pourrait mettre fin à l’une des plus importantes menaces contre la paix dans la région, car les États-Unis perdraient une partie de leur capacité à diviser l’Asie du Sud pour mieux y régner en exploitant ce conflit non-résolu.
En d’autres termes, dès lors que l’on considère la toile de fond stratégique eurasiatique au sens large, l’acquisition par l’Inde de S-400 russes relèverait de l’intérêt de ces deux pays, ainsi que de ceux de la Chine et du Pakistan. Le Quad ne s’effondrera sans doute pas, et il ne faut pas trop s’attendre à voir les États-Unis expulser formellement l’Inde de cette alliance, mais les capacités militaires anti-chinoises de ce groupe encaisseraient sans doute un choc important, car New Delhi deviendrait moins enclin à coopérer étroitement avec Washington sur ce domaine, une fois victime de sanctions étasuniennes par suite de sa décision souveraine de procéder à l’acquisition de systèmes russes de défense aérienne. Les observateurs, s’ils gardent à l’esprit ces dynamiques interconnectées, peuvent donc décrire à raison l’accord S-400 comme un potentiel élément clé de changement du grand jeu stratégique, pourvu que l’Inde conserve la volonté politique d’y procéder, malgré les tentatives de Swamy et d’autres forces influentes de l’enrayer.
source : https://orientalreview.org
L’alliance Quad, comportant l’Australie, l’Inde, le Japon et les États-Unis, et bâtie à l’initiative de ce dernier pays, pourrait être au bord de l’effondrement si l’on en croit Subramanian Swamy, l’influent idéologue du BJP, qui a prévenu : Washington pourrait expulser New Delhi du bloc si cette dernière décidait de concrétiser son projet d’achat de missiles de défense S-400.
Le Quad constitue l’un des blocs géopolitiques les plus conséquents du XXIe : il s’agit d’une alliance anti-chinoise, menée par les États-Unis, qui intègre également l’Australie, l’Inde et le Japon. Elle constitue l’un des plus grands défis stratégiques envers l’Ordre mondial multipolaire en émergence, du fait du potentiel dont elle dispose quant à contrer la montée historique de la Chine, et le nouveau modèle de Relations internationales que ce pays apporte au premier plan des affaires globales. La plupart des analystes se sont posés la question qui suit : que pourrait-on bien faire pour mettre fin au Quad ? Mais la plupart d’entre eux ont conclu par un aveu d’impuissance et semblent avoir accepté celle-ci comme un fait accompli que nul ne peut empêcher. Ce fatalisme stratégique pourrait bien se révéler avoir été quelque peu prématuré, avec l’avertissement public émis jeudi 25 mars par Subramanian Swamy, l’idéologue du BJP [Bharatiya Janata Party, ou Parti Indien du Peuple, NdT] sur Twitter.
Sputnik, le média international fonctionnant sur fonds publics russes, a rebondi sur son tweet, qui disait : « Je note qu’aucun des faits énoncés par moi sur Twitter ne s’est avéré faux : 1. la Chine a traversé la LAC [Line of Actual Control, NdT] et occupé notre territoire. 2. Le gouvernement dit à tort que le désengagement a amené à un retrait de la PLA [Armée populaire de libération, NdT] du côté indien de la LAC. 3. L’acquisition par l’Inde de S-400 russes amènera à l’expulsion de l’Inde du Quad par les États-Unis ». Le lecteur devrait également garder à l’esprit que Swamy avait publié en octobre 2020 un article haineux anti-russe, qui avait déclenché à l’époque une très forte condamnation de la part de l’Ambassade de Russie en Inde. L’Inde a le droit de mener ses affaires étrangères comme elle l’entend, en accord avec ce qu’elle décrit comme sa stratégie de « multi-alignement », mais il n’y a guère de question, à la lumière des affirmations récentes, quant au fait que Swamy est de toute évidence pro-étasunien, et présente une vision qui est à tout le moins hostile envers la Russie.
Les déclarations de ce personnage influent sont en contradiction avec ce que les gouvernements russe et indien considèrent officiellement comme leur partenariat stratégique spécial et privilégié, qui a au cours des dernières années connu une renaissance, surtout depuis la participation au mois de septembre 2019 du premier ministre Modi au Forum Économique Oriental, à Vladivostok, au rang d’invité d’honneur du président Poutine. Malgré quelques secousses sur le chemin parcouru au cours des dix-huit mois qui ont suivi, les liens ont tendance à se resserrer, comme en atteste la visite à Moscou de Shringla, secrétaire aux affaires étrangères, le mois dernier. Il est clair que les relations russo-indiennes restent fortes, ce qui produit un élément de certitude crucial au milieu de ce que l’on peut décrire comme la Guerre mondiale du Covid, c’est-à-dire les processus de changement de paradigme tous azimuts, catalysés par la tentative internationale incoordonnée de contenir la Covid-19.
Les menaces répétées des États-Unis quant à sanctionner l’Inde pour son projet d’acquisition de S-400 russes impliquent un risque de complication des relations étasuno-indiennes, surtout pour ce qui concerne leur coopération militaire, jusqu’ici étroite, pour « contenir » la Chine au travers du Quad. Néanmoins, le premier ministre Modi reste déterminé à procéder à cette acquisition, ce qui témoigne de la place important qu’il accorde à la Russie dans son exercice « d’équilibrage » de « multi-alignement », et indépendamment de son exécution de cet exercice par le passé. L’avertissement émis par Swamy peut donc être interprété comme une pression sur le premier ministre depuis son propre gouvernement, ce qui montre que des forces très influentes ne sont pas en accord avec la stratégie du premier ministre Modi. Ces forces feraient sans doute bien de revoir leur position, car il relève sans doute de l’intérêt général de l’Eurasie que l’Inde conclue cette acquisition de S-400 avec la Russie.
De fait, il se pourrait que Swamy ait pour une fois raison, bien que cela puisse être au détriment de la vision stratégique d’alignement étasunien qui est sienne. Si l’Inde procède à cette acquisition de systèmes russes de défense aérienne, les États-Unis pourraient ne pas expulser formellement l’Inde hors du Quad, mais leur coordination militaire anti-chinoise s’en verrait très certainement perturbée, surtout si les États-Unis imposent des sanctions contre l’Inde comme ils ont menacé de manière répétée de le faire. Mais cela tendrait à renforcer les liens entre l’Inde et la Russie et la Chine, et donner un élan tout à fait attendu à une revitalisation de leur coopération trilatérale au travers du RIC, et renforcer également les BRICS et l’OCS. De quoi, par rebond, accélérer la montée du siècle eurasiatique, tel qu’il a été articulé récemment par les dirigeants pakistanais au cours de l’inauguration de la semaine dernière du Dialogue d’Islamabad sur la Sécurité.
En lien avec tout cela, il mérite également d’être noté que les liens entre l’Inde et le Pakistan se dégèlent peu à peu par suite des récents développements entre les deux pays, surtout avec le cessez-le-feu surprise du mois dernier, qui continue d’être respecté au moment de la publication du présent article, et avec les rapports antérieurs signalant que les Émirats Arabes Unis essayent en secret de négocier une solution plus générale au problème reconnu par le Conseil de Sécurité de l’ONU du territoire du Cachemire. La réduction de l’influence étasunienne, qui promet de se produire comme résultat de l’imposition probable de sanctions par Washington contre New Delhi, pourrait mettre fin à l’une des plus importantes menaces contre la paix dans la région, car les États-Unis perdraient une partie de leur capacité à diviser l’Asie du Sud pour mieux y régner en exploitant ce conflit non-résolu.
En d’autres termes, dès lors que l’on considère la toile de fond stratégique eurasiatique au sens large, l’acquisition par l’Inde de S-400 russes relèverait de l’intérêt de ces deux pays, ainsi que de ceux de la Chine et du Pakistan. Le Quad ne s’effondrera sans doute pas, et il ne faut pas trop s’attendre à voir les États-Unis expulser formellement l’Inde de cette alliance, mais les capacités militaires anti-chinoises de ce groupe encaisseraient sans doute un choc important, car New Delhi deviendrait moins enclin à coopérer étroitement avec Washington sur ce domaine, une fois victime de sanctions étasuniennes par suite de sa décision souveraine de procéder à l’acquisition de systèmes russes de défense aérienne. Les observateurs, s’ils gardent à l’esprit ces dynamiques interconnectées, peuvent donc décrire à raison l’accord S-400 comme un potentiel élément clé de changement du grand jeu stratégique, pourvu que l’Inde conserve la volonté politique d’y procéder, malgré les tentatives de Swamy et d’autres forces influentes de l’enrayer.
source : https://orientalreview.org