« L’Amérique va de nouveau de l’avant ». C’est le grand message de Joe Biden mercredi soir devant le Congrès. Le président américain a vanté un gigantesque plan d’investissement visant à créer, a-t-il expliqué, « des millions d’emplois » pour les Américains qui se sentent tenus à l’écart. Analyse de ce premier discours de politique générale avec Célia Belin, docteure en sciences politiques et chercheuse à la Brookings Institution à Washington. Publicité
RFI : Traditionnellement, ce discours est très suivi par la population américaine. À qui s’est adressé Joe Biden mercredi soir ?
Célia Belin : Il a veillé à ne pas s’adresser qu’aux démocrates, à son propre camp. Il parlait à l’Américain moyen : à la mère de famille, à ceux qui ont souffert de la pandémie, du chômage. Il leur a présenté ce que son administration avait déjà fait ces 100 derniers jours pour les rassurer et leur redonner foi en l’Amérique, en son économie, sa démocratie, en sa capacité à se redresser. Pour cela, il vend au passage un certain nombre d’investissements dans la société et l’économie, dans les classes moyennes et ouvrières, pour restaurer leur foi dans la capacité du pays à rivaliser avec les autres nations, notamment la Chine.
La politique étrangère est pourtant peu évoquée ?
Joe Biden place son discours sous le concept de la rivalité systémique du 21ᵉ siècle. Qui sera la grande puissance de ce siècle ? Il soutient que non seulement les États-Unis sont devant, mais peuvent le rester. Ce message se trouve en filigrane dans tout le discours. Joe Biden évoque aussi la relance de l’action climatique. Sur la Russie, il promet aussi d’être ferme sur les intérêts des États-Unis. Mais il n’y avait pas de volonté de faire monter ces sujets de politique étrangère à des niveaux connus sous l’administration Bush ou même l’administration Obama où ils étaient beaucoup plus présents. On est vraiment ici dans le discours de la « reconstruction ».
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Pour doper la compétitivité des États-Unis et régénérer sa classe moyenne, Joe Biden a mis sur la table un nouveau plan de dépenses massives d’aides à la famille et à l’éducation, qui serait financé en faisant payer aux riches « leur juste part ». C’est un programme inspiré de l’aile gauche du parti ?
Face à la crise, ce que fait Joe Biden c’est de remettre énormément d’argent dans l’économie, de remettre tout le monde au travail. Mais là où s’observe surtout la patte de la gauche du parti démocrate dans ce discours, c’est dans la défense vigoureuse des syndicats, la mise en valeur de la protection des travailleurs. Ce sont des discours que l’on n’avait pas entendus depuis l’époque qui a précédé la présidence de Ronald Reagan, depuis ce tournant de privatisations et de désyndicalisation générale de l’économie américaine. On voit donc ici la patte de Bernie Sanders, d’Elizabeth Warren et de tout le mouvement progressiste qui s’est mobilisé au départ pour gagner les primaires, puis pour faire gagner Joe Biden.
Y a-t-il également un message adressé aux élus républicains alors que des batailles s’annoncent au Sénat où les démocrates ne disposent que d’une courte majorité ?
Joe Biden était le vice-président de Barack Obama et il a vu à quel point l’obstructionnisme républicain pouvait détruire le programme politique d’un président. Il sait que la polarisation s’est encore accentuée, il n’a aucune illusion et il ne veut surtout pas passer des mois à négocier avec eux. En revanche, il y a une différence entre les sujets sur lesquels Joe Biden semble vouloir avancer en dépit de leur opposition (tous les grands programmes d’infrastructures et son plan pour les familles américaines) et tout un pan législatif sur lequel il a demandé au Congrès de « travailler » (le contrôle des armes à feu, l’immigration). Cela m’a semblé un peu naïf ou le reflet d’une certaine impuissance. Donc, sur les grandes priorités, il n’attendra pas les républicains ; mais sur le reste, il espère que le Congrès se mettra au travail. Sans garantie.
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