La population chinoise a continué d’augmenter en 2020, a déclaré, jeudi 29 avril, le Bureau national des statistiques chinois, balayant au passage une information du quotidien Financial Times selon laquelle Pékin allait, pour la première fois depuis 60 ans, annoncer une baisse de sa population sous la barre des 1,4 milliards. La question démographique est extrêmement sensible en Chine comme l’explique le sinologue et directeur de recherche émérite au CNRS, Jean-Philippe Béja. Publicité
RFI : La publication des résultats du recensement décennal se fait attendre et devient un sujet à polémique. Pourquoi cette question semble-t-elle si sensible en Chine ?
Jean-Philippe Béja : Le Parti communiste doit tout simplement avoir le monopole de l’information. Il ne supporte pas que d’autres, et de surcroît un média étranger, annoncent une baisse de la population. D’autre part, comme vous le savez, la Chine mène une course contre la montre pour devenir au moins la deuxième, si ce n’est la première puissance mondiale. Donc, l’enjeu est de se placer constamment en haut des classements. Alors, si la population commence à baisser, cela voudrait dire que l’Inde va peut-être bientôt dépasser la Chine. Cela n’est pas supportable aux yeux des dirigeants chinois.
Mais en réalité, on a du mal à comprendre, puisque au fond l’objectif de la Chine était d’arriver à un pic de sa population pour redescendre ensuite. Mais cela a évidemment un certain nombre de conséquences économiques et sociales. Le problème est notamment le vieillissement de la population. Or, ce que l’on a vu, et le Bureau National des Statistiques (BNS) ne l’a pas démenti, c’est qu’en 2020, le nombre des naissances n’a jamais été aussi bas depuis 1961. Rappelons-nous que le Japon était déjà riche quand il est devenu vieux. La Chine n’est pas encore véritablement riche, elle sera donc vieille avant d’être riche, et cela pose problème.
L’une des solutions serait d’assouplir complètement la politique de contrôle de natalité. Depuis 2016, les couples chinois ont déjà le droit d’avoir deux enfants, se dirige-t-on alors vers la fin de cette politique restrictive ?
Encourager la natalité semble en réalité paradoxal, puisqu’il ne faut pas oublier que depuis 1970 la Chine essaie de limiter les naissances. C’est d’ailleurs un succès du Parti communiste chinois qui, si je puis dire, a dépassé le plan. Si la Chine était restée sur un taux d’accroissement naturel de deux ou trois pour cents, le pays compterait deux milliards d’habitants aujourd’hui, et la Chine serait dans une situation bien plus dramatique. Alors, la question est de savoir si les autorités finiront par encourager véritablement la natalité. Évidemment, les citadins – on l’a vu avec le relâchement des contrôles – n’ont pas envie d’avoir plus d’enfants. Les enfants uniques ont tendance à avoir des enfants uniques, c’est connu. Donc, si on assouplit davantage le contrôle de la natalité, cela aboutirait à une hausse des naissances dans les régions plus ou moins sous-développées. Or, le Parti communiste ne veut pas voir une telle évolution.
Une baisse de la population rendra-t-elle plus difficile l’objectif de la Chine de rattraper économiquement les États-Unis?
C’est très difficile à dire. On sait bien qu’au fur et à mesure que les pays se développent, le taux de natalité baisse. Effectivement, on dit que le vieillissement de la population fait qu’une société devient moins innovatrice. Mais il faut dire aussi que la natalité aux États-Unis ne se porte pas non plus particulièrement bien. Rappelons aussi que dans le cas de la Chine, on craignait énormément une surpopulation. Il n’y a que 10% des terres qui sont cultivables, donc 1,3 milliards d’habitants, c’est déjà beaucoup. Le problème est effectivement le vieillissement accéléré de la population. Comment va-t-on résoudre ce problème ? Ce n’est possible qu’à long terme.