Sorti le 9 mai 2001, L’Amour est Mort, deuxième album d’Oxmo Puccino, fête aujourd’hui ses 20 ans. On revient donc sur ce projet sombre et avant-gardiste.
Quel est le meilleur album d’Oxmo Puccino ? La majorité dira Opéra Puccino (1998), son tout premier ; d’autres oseront citer Cactus de Sibérie (2004), les plus aventureux pencheront pour Lipopette Bar (2006). L’Amour est Mort (2001), deuxième album du rappeur, est également cité régulièrement, malgré une réception ambivalente à l’époque de sa sortie. Vingt ans plus tard, que faut-il retenir de cet album ?
Un accueil mitigé en 2001
Avant la sortie de L’Amour est Mort en 2001, Oxmo Puccino a déjà une solide réputation dans le rap français. Les auditeurs les plus attentifs le connaissent déjà à travers le collectif Time Bomb, dont il est l’une des têtes de proue pendant les années 90. Il construit déjà sa légende avec des titres comme Pucc’ Fiction, démontre qu’il peut toucher le grand public avec un single porteur comme Mama Lova, et poursuit son sans-faute jusqu’à l’album Opéra Puccino. Cette première œuvre en solo vient parachever le grand chelem des premières années de carrière d’Oxmo. Malgré une réception immédiate mitigée (“Opéra Puccino a été assez mal reçu à sa sortie. Les gens s’attendaient à ce que je ne fasse que des Pucc’Fiction ou des Black Mafioso et ça a déçu”, racontait le rappeur chez Noisey en 2015), l’album est progressivement réévalué, sa réputation se construisant sur des classiques instantanés comme L’Enfant Seul, Peur Noire ou La Loi du Point Final.
En 2001, L’Amour est Mort est lui aussi accueilli sans grand enthousiasme par la critique. Il souffre alors de la comparaison avec Opéra Puccino, de l’absence de singles radiophoniques, et échoue sur le plan commercial. A l’époque, les quelques sites internet spécialisés dans le rap ne sont pas complètement convaincus par la démarche du rappeur. Pour l’Abcdrduson, par exemple, le titre Ghettos du Monde “dégage une forte odeur de formatage radio” ; Fais-le pour moi est “une soupe R&B indigeste, avec Keity Slake dans le rôle de la croûte et Oxmo dans celui du MC enlisé. Une horreur”. Le site Kaiserben, évoque “une atmosphère bizarre”, “un album mitigé”, pour un résultat “mi-figue mi-raisin”.
Ces critiques symbolisent la qualité très inégale du projet : en parallèle de ces tirs à balles réelles, l’Abcdrduson souligne également qu’on retrouve “le Oxmo des grands jours” sur Boule de Neige 2001, et insiste sur la réussite des collaborations avec Dany Dan, ou le duo Dry / Demon One. Étonnamment, ce sont les médias généralistes qui tapent le moins sur le rappeur, Libération louant un “album courageux et plein de panache”, tandis que Le Temps parle d’un disque “sombre et dense, qui concilie rage, groove et culot au nom d’un hip-hop organique et sophistiqué” (ça ne veut absolument rien dire, mais on salue l’effort de parler d’un album de rap français en 2001).
Un album à la fois génial, long et inégal
Si sa réception est si partagée, c’est bien parce que L’Amour est Mort est un album imparfait, avec ses fulgurances et ses faux-pas. Oxmo en est d’ailleurs conscient, lui qui évoquait en 2015 chez Noisey “toutes les maladresses qu’il peut contenir”. La longueur de la tracklist (75 minutes, 22 pistes + 1 cachée) va d’ailleurs en ce sens : en proposant autant de contenu, le rappeur s’exposait forcément à des platitudes, ou à des titres moins forts. En contrepartie, les grands moments sont nombreux, et particulièrement marquants.
Titre le plus emblématique de l’album, J’ai mal au mic entre dans le panthéon d’Oxmo Puccino aux côtés de L’Enfant Seul, et reste aujourd’hui considéré comme l’un des grands classiques du rap français du début des années 2000. Cette déclaration d’amour du rappeur envers sa musique cristallise l’essentiel de ce qui fait sa réputation : des formules franchement spectaculaire qui jouent sur les double-sens (“J’délivre un titre pour suicidaire averti / Carabine à air déprimé cherche tempe libre”) ; une personnification des instruments (le micro est le coeur, le son coule dans les veines, etc) ; de l’humour (“tu croyais que j’allais sortir du ring au premier K.O / Je reviens te tuer sapé en arbitre”) …
Le projet d’Oxmo le plus avant-gardiste ?
D’autres morceaux aussi somptueux constituent les temps forts de l’album : Le Laid, Boule de Neige 2001, Demain peut-être … Globalement plus sombre qu’Opéra Puccino, L’Amour est Mort se distingue aussi pour ses textes plus accessibles. Oxmo est toujours très appliqué à enchaîner les rimes riches et à multiplier les assonances, mais on sent que l’époque Time Bomb s’éloigne de plus en plus, et que la recherche de la technique uniquement pour la technique n’est plus sa priorité. D’après le rappeur, l’intégralité de l’album (à l’exception de J’ai mal au mic) aurait en effet été construit selon les méthodes de Notorious B.I.G, avec des textes qui n’étaient pas écrits à l’avance. Une démarche expliquée à l’Abcdrduson en 2007 : “Tu travailles beaucoup avec le rythme, en cohésion parfaite avec la musique, tu as plus de variation et de liberté, le texte est plus ressenti. C’est peut-être pour ça que ça n’a pas été compris d’ailleurs. En studio, les ingénieurs et le producteur ne voyaient pas où je voulais en venir, vu qu’il n’y avait pas d’écrit, pas de trace, juste quelques maquettes vite fait, c’était un peu difficile pour la maison de disque de comprendre.“
Cette cohésion entre l’artiste et sa musique se ressent dans l’interprétation des morceaux, parfois très avant-gardiste. Dix ans avant l’autotune, quinze ans avant que les rappeurs ne se transforment en mélodistes, Oxmo Puccino pousse ainsi sur sa voix et se mue en chanteur. Il préfigure ainsi les futures métamorphoses du rap, mais aussi sa propre évolution, lui qui rend déjà hommage à Jacques Brel avec le titre de cet album, et insistera toujours un peu plus dans cette voie par la suite. Qualifié de chansonnier, autoproclamé “Black Jacques Brel”, Oxmo est aujourd’hui considéré comme un héritier de la chanson française, devenant même Officier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2019.