Le procès a été repoussé d’une année en raison de l’épidémie de Covid-19. A Marseille, le procès de Terra Fecundis, une société d’intérim espagnole qui envoie chaque année des milliers de travailleurs dans les exploitations agricoles françaises, s’ouvre à partir de ce lundi 17 mai. C’est l’un des plus gros dossiers de fraude au travail détaché jamais jugé en France. Il est donc particulièrement attendu et suivi.
Il aura fallu une enquête de plus de 10 ans pour mettre en lumière cette immense fraude à la sécurité sociale et les relations entre des exploitations agricoles du sud de la France et la société d’intérim espagnole Terra Fecundis. Deux de ses filiales, ainsi que six de ses gérants en France sont dans le box des accusés à partir de ce lundi 17 mai. Les chefs d’accusation sont ceux de fraude au travail détaché, mais aussi marchandage de main-d’œuvre.
La société aurait organisé une vaste escroquerie et serait parvenu à soustraire 112 millions d’euros à la sécurité sociale pour la seule période de 2012 à 2015, celle retenue par la procédure pénale, grâce à un système parfaitement huilé puisque l’entreprise restait affilée aux organismes de sécurité sociale espagnols. En résumé, elle ne payait pas l’Urssaf en France, or c’est en France qu’elle réalisait 80 % de son chiffre d’affaires, cela s’apparente donc à du travail dissimulé et à une forme de dumping social.
Quant au « marchandage » de main-d’œuvre : la justice soupçonne le non-paiement de certaines heures travaillées, la non-majoration des heures supplémentaires, le dépassement du temps de travail ou encore l’absence de suivi médical.
Un travailleur mort de déshydratation
L’affaire a réellement commencé en 2011 après la mort d’un Équatorien de 32 ans des suites de déshydratation alors qu’il ramassait des melons dans une exploitation de la commune d’Eyragues, dans les Bouches-du-Rhône.
Après ce drame humain, la justice a commencé à s’intéresser au sort des saisonniers agricoles de Terra Fecundis en France. Le syndicat général agroalimentaire CFDT des Bouches-du-Rhône, qui est partie civile dans ce procès parle de la mise en place d’un système de traite d’êtres humains avec des pratiques d’un autre âge. Les ouvriers ont en effet évoqué au fil de l’enquête, des journées à 14 heures par jour sous un soleil de plomb rémunérées moins que le Smic horaire, et des conditions de logement parfois déplorables.
Des circonstances aggravantes
Ce sont des centaines d’exploitations de maraîchers, de viticulteurs, de producteurs de fruits qui ont fait régulièrement appel à cette main d’œuvre peu cher au fil des années, car ils sont souvent en manque de bras.
De plus, les auditions des salariés, comme des sociétés agricoles, ont révélé une présence permanente de ces travailleurs en France, tout au long de l’année, et pas seulement en saison d’où la fraude au détachement.
L’activité, elle, n’a cessé de croître pour Terra Fecundis qui pèse aujourd’hui 57 millions de chiffres d’affaires.
Le parquet de Marseille a retenu la circonstance aggravante de faits commis « en bande organisée », et a doublé la peine maximale encourue, qui est fixée à dix ans de prison pour ce type d’infraction. Les exploitations agricoles qui les ont employés elles, en revanche, ne risquent rien pour le moment en tout cas.
Un deuxième procès est prévu dans le Gard l’an prochain pour d’autres faits de travail dissimulé, et Terra Fecundis comparaîtra cette fois aux côtés d’exploitants ayant utilisé ses services.
Enfin, une autre procédure a été ouverte par le parquet de Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône, selon des révélations du journal d’investigation local Marsactu, suite à des clusters de Covid-19 découverts dans des foyers de travailleurs étrangers mis en place par Terra Fecundis.