par M. K. Bhadrakumar.
Dix mois après la première réunion des ministres des Affaires étrangères de la Chine et des cinq États d’Asie centrale1, Pékin a organisé une deuxième session le 11 mai lors d’une réunion à Xi’an, en Chine, organisée par le ministre des Affaires étrangères Wang Yi.
Le lieu est symbolique. L’ancienne ville de Xi’an était autrefois le « terminus a quo » de la route de la soie. Et peut-être aussi le moment choisi, puisque c’est également le 25ème anniversaire du processus des « cinq de Shanghai », au cours duquel la Chine a commencé, discrètement mais sûrement, à développer ses relations économiques, militaires et diplomatiques avec l’Asie centrale et à se présenter comme un partenaire viable.
La réunion de Xi’an est un événement décisif car elle crée une « garantie institutionnelle » pour le réseau naissant des « C+C5 ». Les participants ont convenu d’un protocole d’accord visant à établir un dispositif de coopération régionale, à promouvoir la construction de haute qualité de la Nouvelle Route de la Soie et à créer trois centres de recherche pour mener à bien la coopération.
« Un voyage de mille miles chinois (li) commence par un seul pas », dit un vieux proverbe chinois. Tout comme le processus des Cinq de Shanghai s’est transformé en Organisation de coopération de Shanghai, le C+C5 semble lui aussi destiné à atteindre des sommets.
Les Cinq de Shanghai, composés de la Chine, du Kazakhstan, du Kirghizstan, de la Russie et du Tadjikistan, ont également connu des débuts modestes en 1996, à l’issue d’une série de pourparlers sur la démarcation et la démilitarisation des frontières que les quatre anciennes républiques soviétiques ont menés avec la Chine. L’institutionnalisation du C+C5 marque également un tournant dans la sécurité régionale – alors que le retrait des troupes américaines d’Afghanistan est en cours et que l’on spécule sur le fait que le Pentagone envisage des installations de base dans les pays d’Asie centrale.
Il est intéressant de noter que les ombres du grand jeu sont également apparues. La réunion de Xi’an a lieu dix-huit jours après une réunion similaire au format « C5+1 » à laquelle a participé le secrétaire d’État américain Antony Blinken (en mode virtuel, bien entendu). On ignore si c’est Blinken qui a tiré son épingle du jeu ou si c’est l’inverse.
Jeudi, un éditorial du China Daily, le journal gouvernemental, a souligné la grande importance accordée par Pékin à l’initiative diplomatique C+C5. Il notait que le dispositif C+C5 « esquisse un plan d’action qui fournit une garantie institutionnelle plus forte pour leur coopération ».
L’éditorial poursuit : « Transformant leur volonté partagée de poursuivre un développement commun par des projets et actions concrets, ils ont convenu d’établir un dispositif de coopération régionale C+C5, de promouvoir la construction de haute qualité de la Nouvelle Route de la Soie et de créer trois centres de recherche pour mener à bien la coopération dans les domaines de l’agriculture moderne, du patrimoine archéologique et culturel et de la médecine traditionnelle ».
Plus important encore, l’éditorial indique que la réunion du C+C5 a renforcé la « confiance mutuelle stratégique, et il a été convenu de faire des efforts concertés pour construire une communauté Chine-Asie centrale avec un avenir commun… (et) de travailler ensemble pour promouvoir la sécurité et la stabilité régionales et sauvegarder la justice internationale ».
Elle a mis en avant une déclaration commune publiée à l’issue des discussions concernant « leurs efforts conjoints pour promouvoir la réconciliation pacifique en Afghanistan, démontrant que les six pays joueront un rôle plus important dans leur ensemble… Le fait qu’ils aient convenu d’établir un calendrier de réunions régulières des ministres des affaires étrangères du C+C5 indique qu’ils sont bien conscients de l’importance de l’unité et de la coordination régionales ».
Les motivations de Pékin semblent être doubles : envoyer « un signal clair qu’ils (C+C5) s’opposent ensemble à toute ingérence dans leurs affaires intérieures et à toute action menaçant leurs intérêts fondamentaux en matière de développement » ; et affirmer avec force « leur affirmation commune selon laquelle l’Asie centrale n’est ni une scène où une puissance peut organiser une révolution de couleur ni un lieu où une puissance peut tenter de semer la discorde ».
Le ministre des affaires étrangères Wang a souligné qu’il est nécessaire que les pays voisins de l’Afghanistan, y compris l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, « coordonnent leurs prises de position en temps utile, parlent d’une seule voix et soutiennent pleinement le processus de paix intérieur afghan afin de surmonter les difficultés et d’aller de l’avant ».
De même, un commentaire du Global Times a développé les préoccupations de Pékin, qui craint que le retrait des États-Unis « ne laisse des situations chaotiques et que la région ne devienne un terrain propice aux « Trois maux » – terrorisme, séparatisme et extrémisme religieux ».
Le commentaire cite des avis d’experts selon lesquels, outre la Russie et la Chine, les pays d’Asie centrale seront également « réticents à accueillir un déploiement militaire américain sur leur sol », car l’intensification des activités politiques et de renseignement des États-Unis et leur implication dans les partis d’opposition locaux, les ONG et les groupes de médias ne feraient que provoquer une révolution colorée. « En général, les troupes américaines ne sont pas très bien accueillies dans la région ».
En outre, les experts chinois craignent également que le retrait précipité des États-Unis ne bloque le processus de paix afghan et n’engendre des conditions de guerre civile, alors que les États-Unis ont permis à la région de devenir un « terreau » pour les « trois maux » et la culture du pavot – « et maintenant Washington veut laisser ce gâchis aux pays de la région ».
Lors de la réunion de Xi’an, Wang a précisé la position de la Chine sur le processus de paix afghan en ces termes. Les trois éléments clés sont : la nécessité d’arrangements politiques inclusifs pour s’assurer que tous les groupes ethniques et partis puissent participer ; la rédaction d’une constitution conforme aux conditions nationales et aux besoins de développement particuliers de l’Afghanistan, au lieu d’imiter la démocratie de style occidental ; et la « politique musulmane modérée » en tant qu’idéologie d’État.
Pékin affirme que son approche et celle de la Russie sont complémentaires – « la Russie se soucie davantage de la sécurité, et la Chine de la capacité économique ». Mais pourquoi l’OCS ne pourrait-elle pas servir cet objectif ? L’une des raisons pourrait être que l’OCS n’est plus la même depuis que l’Inde et le Pakistan en sont devenus membres.
On peut imaginer que la Russie, qui se concentre déjà sur le prochain sommet avec le Président des États-Unis, craint de jouer avec les nerfs des américains. C’est donc probablement à Pékin qu’il incombe de faire le gros du travail. Un article exclusif paru aujourd’hui dans le People’s Daily, organe du Parti communiste chinois, s’intitule « Les États-Unis ne peuvent pas se dérober sur les questions afghanes ». Il conclut :
« À l’heure actuelle, les États-Unis sont le principal facteur extérieur influençant les problèmes afghans. La Maison Blanche ne doit pas fuir ses responsabilités et se défiler. Son retrait doit être mis en œuvre de manière ordonnée et responsable, et viser à empêcher une nouvelle escalade de la violence dans le pays et à empêcher les forces terroristes de se renforcer et de créer des troubles. Il doit créer un environnement extérieur favorable aux négociations intra-afghanes, et non l’inverse »
En effet, Moscou jugerait imprudent d’être aussi franc à ce stade, sachant à quel point Biden serait ultra-sensible. En fait, les troupes américaines ont quitté l’imposante base aérienne de Kandahar à la faveur de l’obscurité, dans la nuit du 11 au 12 mai, sans même en informer les responsables afghans.
source : https://www.indianpunchline.com