Détentions de masse, stérilisations forcées, surveillance poussée à l’extrême… Les 12 millions de Ouïghours et d’autres minorités turciques du Xinjiang en Chine font l’objet d’une répression sans précédent, justifiée par Pékin par la lutte contre le « séparatisme » et « l’extrémisme religieux ». Un tribunal public indépendant a mené son enquête depuis Londres. Il a collecté et analysé des milliers de documents et entendu de nombreux témoins. Il déterminera lors d’auditions qui commencent ce vendredi 4 juin, si ces violations des droits humains constituent un crime contre l’humanité, voire un génocide. Publicité
« Il s’agit d’un tribunal public, explique Hamid Sabi, avocat en droit international et conseiller du « Tribunal ouïghour », au micro de Heike Schmidt, du service International de RFI. Il n’a pas de véritable pouvoir juridique, mais il s’agit toutefois d’une vraie procédure légale. Les neuf membres du jury sont indépendants. Ce ne sont pas des militants, ils sont impartiaux. Ils ne soutiennent ni ne condamnent la Chine. Nous avons collecté des preuves de toutes sortes de sources, y compris celles en faveur de la Chine. »
Le vice-président du « Tribunal » Nick Vetch s’est refusé à tout commentaire au sujet des attaques de Pékin contre cette démarche. Il a promis que son travail serait « impartial », fondé sur des témoignages recueillis cette semaine et en septembre et sur des « milliers de pages » de documents déjà accumulées. Il se fondera « sur des preuves, rien que des preuves », a-t-il déclaré à l’AFP.
« J’ai sollicité le gouvernement chinois à de nombreuses reprises pour qu’il complète nos preuves par les siennes, mais nous n’avons reçu aucune réponse, confie Hamid Sabi. Le gouvernement chinois s’est contenté de condamner notre procès comme étant “illégal” et une “provocation”. »
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« Combler le vide »
Selon des experts étrangers, plus d’un million de Ouïghours, principal groupe ethnique du Xinjiang, sont détenus dans des camps de rééducation et certains sont soumis à du « travail forcé ». Des accusations rejetées par Pékin qui parle de « centres de formation professionnelle » destinés à les éloigner du « terrorisme » et du « séparatisme » après des attentats attribués à des Ouïghours.
« L’objectif d’un tel tribunal public est de combler le vide, là où les tribunaux internationaux reconnus, comme la Cour Internationale de Justice et la Cour Pénale Internationale, ne se saisissent pas d’une affaire, souligne Hamid Sabi. Face à cette lacune dans la juridiction, il faut toutefois trouver le moyen d’enquêter sur ces atrocités. Les tribunaux publics n’ont peut-être pas un pouvoir formel, mais ils ont le pouvoir de faire appel à l’opinion publique et d’attirer l’attention de la communauté internationale. »
« Machine à mensonges »
Le rapport du « Tribunal ouïghour » est attendu en décembre prochain. S’il n’aura aucune valeur légale, les participants espèrent attirer l’attention internationale et entraîner de possibles actions.
Ce panel a été mis sur pied à la demande du Congrès mondial ouïghour, le plus important organisme représentant les exilés ouïghours, qui presse la communauté internationale à agir contre la Chine.
Le « Tribunal ouïghour » fait partie des entités visées par des sanctions de Pékin pour avoir dénoncé le traitement des Ouïghours, tout comme son président, l’avocat britannique Geoffrey Nice, qui avait dirigé les poursuites devant la justice des Nations unies pour crimes de guerre contre l’ancien dirigeant serbe Slobodan Milosevic.
« Ce n’est même pas un véritable tribunal ou une cour spéciale, mais simplement une machine à mensonges », a déclaré la semaine dernière le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Zhao Lijian.
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Tensions sino-britanniques
La tenue de ces audiences à Londres risque d’aggraver encore les tensions déjà vives entre le Royaume-Uni et la Chine, alimentées par la répression des manifestations pro-démocratie à Hong Kong ou encore l’exclusion de l’équipementier Huawei, soupçonné d’espionnage, du réseau britannique de la 5G.
Selon les Etats-Unis, la Chine mène un « génocide » au Xinjiang, un terme que le Royaume-Uni s’est refusé à adopter, tout en se joignant le mois dernier à Washington et Berlin pour appeler à la fin de la répression de la minorité ouïghoure.
Le début des auditions intervient à une semaine du sommet du G7 en Angleterre, notamment en présence du président américain Joe Biden, qui a appelé les démocraties occidentales à se montrer plus fermes face à la Chine.
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