Au moins l’affaire n’aura pas traîné : pour un acte commis le 8 juin, l’auteur est immédiatement arrêté, porté devant la justice le 10 juin, condamné dans la foulée et directement mis sous écrou. La France va pouvoir reprendre le cours normal de sa déchéance douillette.
Oh, bien sûr, on devra se réjouir que la Justice française n’aura ni temporisé dans son action, ni hésité dans sa sanction : deux jours seulement après avoir collé une petite gifle au président Macron dont il s’est fort vite remis, Damien Tarel est condamné à quatre mois de cellule dont il verra bien les murs puisqu’il y a été placé au sortir de son procès qui n’a guère duré. Pas de doute, quand la Justice peut faire vite et ferme, elle fait vite et ferme.
Certes, la personnalité bousculée, symbolique, appelle probablement à un traitement rapide et exemplaire que voulez-vous, « quand président fâché, lui toujours faire ainsi ».
Malheureusement, si l’on peut admettre que Damien Tarel aurait essentiellement giflé un symbole et qu’il paye donc cher à ce titre, force est aussi de constater que, d’une part, le symbole n’est pas aussi reluisant et exemplaire qu’il devrait l’être, et que, d’autre part, il arrive un moment, à force de dévalorisation de la fonction, où le symbole se détache de l’homme qui le porte pour ne plus laisser que ce dernier, dans sa chemise et son petit pantalon, entouré d’une garde prétorienne au passage un peu à la ramasse dans ce cas présent.
Est-il besoin de revenir sur les (beaucoup trop) nombreuses occasions où Macron n’a justement pas rehaussé la fonction qu’il occupe, depuis la myriade de petites phrases idiotes ou assassines qu’il a sorties avec régularité, jusqu’aux situations grotesques, équivoques ou insultantes pour le peuple français dans lesquelles il s’est pavané avec une sorte de gourmandise d’enfant terrible cherchant absolument à casser les bibelots de famille juste parce qu’il le peut ?
Si l’acte de Damien Tarel est probablement condamnable au moins sur le principe, il n’en est pas moins parfaitement compréhensible, surtout par contraste avec les précédents présidents : là où Hollande incarnait surtout la mollesse, l’indécision et les petites combines, Sarkozy les gesticulations et les petits coups de mentons peu suivis d’effets, aucun des deux précédents présidents n’ont aussi ouvertement évoqué le mépris de tout un pan du peuple comme les comportements et les raisonnements de Macron le laissent transpirer. Il est probable qu’en terme de nombres bruts, il existe actuellement dans le pays beaucoup plus de Damien Tarel potentiels envers Macron qu’il n’en a jamais existé envers les précédents occupants de l’Élysée, et le saupoudrage populaire par LBD et grenades de dispersion en 2018 et 2019, les confinements arbitraires et le délire bureaucratique total des 18 derniers mois n’ont certainement pas aidé.
Il n’en reste pas moins que le contraste est très fort entre cette justice rapide et ferme pour le président (et pour les élus médiatiques en général) et celle de la justice quotidienne éprouvée par les Français du peuple, ces non-introduits, sans-réseau voire sans-dent, qui est systématiquement plus molle, tant en temps de réaction qu’en sanctions réellement appliquées.
On pourrait ainsi s’étonner du calme plat de certaines épopées judiciaires (celle concernant Benalla vient immédiatement à l’esprit, plusieurs années après les faits). On pourrait, de même, s’interroger sur la cohérence d’ensemble de la justice lorsqu’on multiplie dans l’actualité, au moment même où le gifleur présidentiel est arrêté, déféré, jugé et incarcéré, les affaires sordides de multirécidivistes qui défrayent la chronique après l’un ou l’autre meurtre, et toutes ces affaires dont les jugements ont permis à tant de (pourtant) condamnés récidivistes de dormir chez eux, à tant de voyous, de racailles, de petites frappes de continuer leurs exactions, à tant de victimes de se retrouver sans le moindre espoir de réparation sinon physique du moins morale.
Ces colonnes et beaucoup d’autres ont déjà fourni nombre d’exemple d’affaires ignobles où la justice aurait dû être au moins à moitié aussi véloce que pour protéger le petit corps présidentiel, et au moins à moitié aussi sévère que pour punir le gifleur que les médias ont déjà agoni de sobriquets (ne manquant pas l’inévitable « complotiste » devenu indispensable par les temps qui courent). Il n’en a rien été et il n’en sera rien une fois que l’écume des jours sera passée et que cette petite péripétie de Macron au full-contact des Territoires sera oubliée de tous.
Et c’est bien l’un des plus graves problèmes de la France actuelle dont certains s’émeuvent (un peu tard) qu’elle se partitionne : les pauvres contre les riches, les provinciaux contre les urbains, les solvables et ceux que la justice ne loupera pas contre les éternels exemptés de ces quartiers émotifs pour lesquels la police n’existe plus, ceux dont on attend fermement qu’ils continuent à se fondre, corps et âme, dans la République contre ceux dont on tolère (surtout par calcul politique) qu’ils se communautarisent, ceux qui payent contre ceux qui touchent …
La France meurt de ces métastases multiples d’un Deux Poids, Deux Mesures que le Moyen-Âge le plus caricatural n’aurait pas renié, de ces passe-droits, privilèges et exonérations qu’on distribue à certains et de ces vexations, taxations et coercitions qu’on use sur les autres, bien distincts des premiers. La France, celle de ces tribuns la bouche toujours ouverte à réclamer l’égalité voire l’égalitarisme jusque dans les chiottes, les pronoms, les taxes et l’orthographe, se meurt de ne voir nulle part les plus essentielles des égalités (devant les devoirs, les ponctions, et les sanctions) respectée et appliquées effectivement.
Cette France partitionnée, inégalitaire semble autoriser sans sourciller de faire charger les CRS sur des jeunes qui s’amusent en groupe sous prétexte qu’est arrivée l’heure du couvre-feu (mesure parfaitement inutile et inique), pendant qu’au même moment, à quelques kilomètres de là, quelques privilégiés bien en cour peuvent apprécier les dépassements d’horaire aux Jeux du Cirque moderne, brisant ainsi ce même couvre-feu qu’il semble indispensable de faire respecter ailleurs à coup de lacrymogènes.
Dans ce cadre, la gifle présidentielle est peut-être la cerise démonstrative sur le gâteau d’iniquités que la France est devenue. Rarement dans l’Histoire du pays de telles inégalités ont ainsi été jetées à la face de ceux qui payent et subissent.
Décidément, « Liberté, égalité, fraternité » : la France de cette devise est morte.
source : http://h16free.com