En République centrafricaine, le président Faustin Archange Touadera a installé la semaine dernière un comité chargé de rédiger une nouvelle Constitution pour remplacer celle de 2016, issue des années de transition, et qui serait soumise à referendum. L’opposition accuse le chef de l’État de vouloir changer le texte pour pouvoir briguer un 3e mandat fin 2025. Elle a saisi la Cour constitutionnelle qui doit rendre son verdict dans les prochains jours
Le sujet du changement de loi fondamentale polarise la société. On sent la crainte que la dispute constitutionnelle amène à des débordements et des violences, car les discours haineux et les fausses nouvelles pullulent sur les réseaux sociaux. Alors pourquoi changer de Constitution ?
Le président s’abrite derrière la « volonté populaire » qui s’exprimerait depuis le début de l’année, via des marches, des pétitions, des réunions publiques demandant cette réforme. Faustin-Archange Touadera l’a dit jeudi, en installant le comité de rédaction : « Fidèle à mon engagement républicain, je ne saurais rester insensible à la demande pressante de mon peuple de se doter d’une nouvelle loi fondamentale. J’ai noté que la majorité de nos compatriotes estiment que notre corpus juridique ne doit pas être immuable ».
À la manœuvre de cette mobilisation, des organisations dites « patriotes », comme le Front républicain, qui vient de se transformer en parti politique. Son leader, Héritier Doneng, veut une Constitution « du peuple » à l’opposé de celle des techniciens adoptée en 2016. « Nous, maintenant, les progressistes, on dit que nous voulons une nouvelle Constitution qui reflète nos réalités sociales, économiques, environnementales, explique-t-il. Nous voulons une Constitution évolutive pour permettre à la République centrafricaine de se développer. En 2016, il n’y a pas eu cette opportunité. Il n’y a pas eu cette occasion. C’est juste un groupuscule de scientifiques qui se sont mis quelque part et ont rédigé cette Constitution. Alors, cette fois-ci, ce sera la Constitution du peuple. »
Une révision constitutionnelle qui crée un malaise
Ces arguments ne satisfont pas une autre plateforme de la société civile. Le G-16 s’est formé en début d’année spécifiquement pour dénoncer cette perspective. Son porte-parole est Ben Wilson Nguassan. « Cette question de révision constitutionnelle, puisqu’elle n’a pas été traitée en mettant autour de la table toutes les forces vives de la nation, ça crée un malaise, un souci. Ce que veut faire le président Touadéra aujourd’hui est ni plus ni moins une tentative de confiscation illégale du pouvoir, et donc de liquidation des institutions de la République ».
Les partis politiques d’opposition se sont également retrouvés, ressoudés, autour d’une cause commune, au sein du bloc républicain de défense de la Constitution. Pourquoi faudrait-il changer un texte longuement élaboré sous la transition, que le président Touadéra n’a jamais critiqué, s’interroge son porte-parole, Martin Ziguelé. « Dans toutes les déclarations officielles du président Touadéra, il n’a jamais dit que certaines dispositions de la Constitution l’empêchaient d’exécuter le mandat sur lequel il s’est engagé devant le peuple centrafricain. Je pense que tout le monde sait que le pouvoir veut un troisième, puis un quatrième mandat, pour des raisons inavouables. »
Pourquoi réviser le texte maintenant ?
L’autre interrogation des opposants est la suivante : pourquoi revoir la Constitution maintenant, alors qu’il reste plus de trois ans de mandat au chef de l’État ? Le ministre conseiller spécial du chef de l’État, Fidèle Gouandjika, rappelle que les défenseurs du texte n’hésitaient pas auparavant à le remettre en question. « Il n’est jamais trop tard pour mieux faire. Cette Constitution a des limites. Beaucoup d’articles de cette Constitution ne donnent pas la possibilité au pays d’émerger. La Constitution a été décriée et querellée par l’opposition, par des éminents professeurs en droit. Mais c’est au peuple de décider de son sort. »
Dans ce contexte, la décision de la Cour constitutionnelle est très attendue. Elle doit statuer avant la fin du mois. Les juges ont été visés par des menaces, mais se disent décidés à dire le droit. Décision attendue, mais pas décisive : le président lui-même a laissé entendre qu’il irait jusqu’au bout du processus référendaire : « La Constitution du 30 mars 2016, vous le savez, ne confère ni au président de la République, ni à une autre institution, le pouvoir de se dresser devant la souveraineté populaire, de limiter ou d’empêcher l’exercice de cette souveraineté. »
Les adversaires du projet estiment que passer outre une décision défavorable de la Cour constitutionnelle devrait être considéré comme un « coup d’État » par les Centrafricains et par la communauté internationale.