Focus sur l’utilisation des instruments organiques dans le rap français.
En troquant logiciels de composition, mélodies virtuelles et drumkits contre de vrais instruments aux sonorités organiques, de nombreux artistes du rap français ont opéré, depuis quelques années maintenant, un virage assumé vers une musique plus acoustique. Que ce soit pour aller chercher des mélodies et rythmiques plus humaines ou bien marquer une rupture frontale avec les productions numériques, Lomepal, Sheldon ou encore Zinée semblent avoir trouvé dans la musique acoustique une manière sincère de renouveler leurs propositions musicales. En vue de ces morceaux qui s’affranchissent des percussions électroniques, focus sur la musique acoustique dans le rap francophone.
Une réinterprétation
En novembre 2021, une nouvelle pépite s’est délicatement posée sur le rap français. Avec ses couplets à l’écriture aussi naïve que sage, ses mélodies vocales prenantes et ses douces notes de synthétiseurs, le second album du rappeur Sheldon Spectre rencontre dès sa sortie un beau succès, et enchante une fois de plus un public soudé autour de sa musique. Ponctué par ses envolées autotunées fidèles à l’identité vocale de l’artiste, l’album se déroule au fil des 19 morceaux et laisse entrevoir, entre les lignes introspectives du personnages, une légère évolution dans les productions de Sheldon. D’habitude toujours entouré de synthétiseurs, instruments virtuels et machines en tout genre, il dévoile au fil de l’album des mélodies organiques tout droit sorties des cordes d’une vraie guitare, des caisses claires d’une vraie batterie ou encore des notes d’une vraie basse acoustique. Comme le prouve le morceau phare de l’album Fumée, un léger glissement s’opère dans ses sonorités : l’auteur, compositeur et interprète intègre désormais dans sa musique des sons acoustiques.
Mais ce n’était qu’un avant goût de la suite. Quelques mois plus tard, en juin 2022, l’artiste aurait simplement pu proposer une simple réédition de son album comme la plupart des rappeurs français, mais non. Sheldon, lui, choisit de rejouer 5 morceaux de l’album dans une session live acoustique, et donne ainsi une seconde vie à des tracks en les ré-arrangeant dans une dimension qui s’éloigne de la composition par ordinateur pour se tourner vers des sonorités plus organiques, plus humaines. En proposant une version alternative de ces morceaux, Sheldon marque avec Spectre : Live Session un contraste intéressant entre la musique électronique qui compose une grande partie de sa discographie et ces nouvelles vibrations organiques, toujours portées par la voix électrisée de l’artiste. Comme une proposition alternative, Sheldon a réussi, à travers des instruments bien réels, à faire évoluer sa musique vers une autre forme que celle qu’il avait atteinte, et proposer à son public une texture bien éloignée que celle qu’il a longtemps façonnée.
Issue du même collectif parisien 75ème session, la rappeuse Zinée s’est elle aussi approprié ces derniers mois des sonorités organiques, mais dans ses concerts et représentations live. En dessinant ses refrains mélancoliques de sa voix autotunée, l’artistes s’est démarquée des nombreuses autres performances lives du rap français en troquant les pistes audios jouées par les DJ en instruments organiques qui portent ses morceaux avec des sonorités sincères. Et la différence est flagrante : chaque percussion jouée, ligne de guitare pincée ou touche de piano pressée vibrent d’une manière bien plus sincère et stimulante pour l’auditeur, et participe à faire des lives de l’artiste une expérience à part entière.
L’aboutissement par l’acoustique
Avec ses premiers morceaux aux couplets tranchés et aux punchlines percutantes, personne n’aurait vraiment pu prédire l’évolution de Lomepal. Issu du rap français des années 2010 et ayant fait ses armes aux côtés de Nekfeu, Caballero, et l’entourage large de la 75ème Session, le rappeur devenu chanteur a aujourd’hui fini par éclore dans une musique totalement acoustique, bien éloignée des sonorités qui ont constitué le socle de sa carrière. Quoique finalement pas si éloignée que ça : dès ses premiers morceaux, le rappeur laissait entrevoir un penchant certain pour les batteries acoustiques et les claviers, précisément présentes dans son morceau Enter The Void en feat. avec Doum’s, en 2014.
Produit par Nat Powers, le morceau composé via ordinateur reprend des sonorités très fidèles à celles des batteries et pianos organiques, et laissent à Lomepal la place nécessaire pour qu’il y pose des mélodies délicatement chantées. Alors 8 ans plus tard, l’artiste semble avoir pris le chemin qui lui tendait les bras depuis de longues années : en délaissant les attributs musicaux du rap, l’artiste s’est définitivement tourné vers des sonorités organiques et des mélodies héritées de ses plus grandes influences musicales. Désormais réinventée dans son nouvel album « Mauvais Ordre » dévoilé le 15 septembre dernier, la nouvelle musique que propose Lomepal marque une rupture certaine avec les mélodies virtuelles, ordinateurs et logiciels de compositions et semble trouver, dans ces sonorités acoustiques, une musique sincère et vibrante qui le mènent vers un aboutissement musical certain. Quand dans le morceau Tee, il chante : « Envie de planter quelques tomates et de faire du son sans ordi », Lomepal semble traduire son envie presque pulsionnelle de faire de la musique plus humanisée, plus sincère et bien plus fidèle à la musique organique qu’il admire depuis toujours. Finalement, les instruments réels ont permis à Lomepal de trouver sa forme finale, et ainsi, de proposer à son public grandissant une musique qui lui ressemble vraiment.
Qu’elle soit utilisée pour proposer des versions alternatives de morceaux déjà très impactants, qu’elle exalte les lives d’artistes talentueuses ou bien qu’elle permette à des rappeurs de se retrouver dans une musique qui leur ressemble le plus, la musique acoustique semble avoir beaucoup de bienfaits pour le rap francophone. Pourtant, si elle reste encore très minoritaire par rapport aux propositions composées électroniquement, l’acoustique a déjà fait ses preuves dans cette scène et semble avoir encore beaucoup à apporter, et ce, autant pour les artistes que pour le public.