Treize ans jour pour jour après le massacre du stade de Conakry, le procès s’ouvre ce mercredi 28 septembre 2022, en Guinée. Un procès historique, le premier du genre pour ce pays qui, depuis son indépendance, a connu plusieurs crimes de masse. Maître Halimatou Camara, avocate au barreau, militante des droits de l’homme, membre du collectif des avocats dans le dossier du massacre du 28 septembre 2009, est l’invitée de RFI.
Dans quel état d’esprit abordez-vous ce procès ?
Halimatou Camara : Disons avec beaucoup d’enthousiasme, parce que ça fait quand même plusieurs années que les victimes attendent, qu’elles attendent que justice leur soit rendue, qu’elles attendent d’être reconnues aussi en tant que victimes, c’est extrêmement important. Mais aussi, je pense qu’en tant que citoyenne de ce pays, c’est quand même une rupture aujourd’hui de l’impunité. Et ça, c’est un pas décisif, je pense.
Est-ce que les vrais coupables seront dans le box ce matin ?
Les vrais coupables, c’est relatif. Pour le moment, moi en tant qu’avocate, on parle de présomption d’innocence. En tout cas, ce sont des personnes pour qui il est peut-être possible qu’on puisse leur imputer un certain nombre d’infractions. Certains de ces hommes étaient bien placés, des hauts commis de l’État. Et il est temps qu’ils rendent compte de ce qui s’est passé ce jour-là, et les jours qui ont suivi, où des femmes ont été séquestrées, violées, où des gens, des femmes, des hommes ont été tués comme ça, impunément. Ce n’est pas acceptable. Il faut qu’on lave dans notre pays notre conscience collective. Ce n’est pas acceptable que des crimes aussi innommables soient perpétrés dans un pays et qu’il n’y ait aucun coupable. Ce n’est pas possible. Il faut bien qu’il y ait, à l’issue du procès, des coupables.
Est-ce que la présence de Moussa Dadis Camara dans le box va donner une plus forte crédibilité à ce procès ?
Oui, évidemment. Il était quand même le chef de l’État à ce moment-là. Il était le chef du CNDD [Conseil national pour la démocratie et le développement]. Et aussi, c’est extrêmement important, il est temps que les gens acceptent les honneurs qui entourent le fait d’être chef, mais aussi les responsabilités si jamais il y a un dérapage, si jamais il y a des violations graves des droits de l’homme, et qu’on sache également qu’aucune situation d’exception ne peut prévaloir en matière de violation grave des droits de l’homme. C’est extrêmement important, c’est une leçon pour l’histoire et pour ceux qui savent comprendre en fait.
C’est la première fois dans l’histoire de la Guinée qu’un procès de masse, de cette ampleur, a lieu…
Oui. Et je pense que c’est extrêmement important. L’État lui-même est soumis au droit, ceux qui dans l’exercice de leur fonction ont commis des crimes ce jour-là doivent payer. L’État lui-même doit prendre ses responsabilités et pouvoir indemniser ces victimes, c’est un pas décisif au-delà de ce procès. Dans un pays comme la Guinée, un pays qui a malheureusement une culture d’impunité, on a l’impression que c’est tout le temps des répétitions de l’histoire, le bégaiement de l’histoire. Et cela depuis les indépendances, depuis 1958, il y a des victimes qui gisent dans des fosses communes. Il est temps que l’histoire arrête de se répéter. L’histoire de la Guinée est extrêmement douloureuse, et d’autres victimes aussi attendent. On a par exemple les répressions de 2007, où la répression a été sanglante. Il y a eu une plainte des victimes par exemple dans cette affaire-là. Il y a également les répressions d’après 2010, avec également des victimes qui attendent. Il faut qu’on rende justice, qu’on rende la justice forte et indépendante, parce que la justice est la colonne vertébrale de l’État. Tant qu’on n’aura pas une justice forte, on ne pourra pas se battre véritablement contre l’impunité. Et avec l’impunité, je ne pense pas qu’on puisse avoir une société qui soit une société viable.