Au cours d’une carrière de trente-sept ans au Monde, Philippe Herreman, mort à Paris le 20 avril, à l’âge de 92 ans, avait publié 555 articles signés, mais ceux qu’il avait relus et amendés se comptent par milliers. C’est que, journaliste reconnu comme spécialiste du Maghreb, il consacra une grande partie de son temps à des responsabilités demandant une certaine abnégation dans la hiérarchie du journal.
Né le 31 juillet 1928, au Mans, dans une famille nombreuse dont le père est général, Philippe Herreman commence sa carrière de journaliste comme agencier, avec un bagage de licencié en droit et en allemand, passé par Sciences Po. Après une brève expérience à L’Express,il entre au service Etranger du Monde en 1956. Son premier article signé a trait à une tentative de réforme dans une Algérie alors « française ». Très vite, la guerre d’Algérie est au centre de son travail, et pour de nombreuses années.
En février 1962, son domicile est plastiqué par l’OAS, en même temps que ceux d’Hubert Beuve-Méry, directeur du Monde, et de deux autres journalistes. Les deux filles de Philippe Herreman se trouvent dans l’appartement visé, mais elles sont heureusement indemnes. Leur grand-père est légèrement blessé par l’explosion dans l’escalier qui les conduisait à elles. C’est l’époque où des ouvriers de l’imprimerie montent la garde devant le siège du journal, rue des Italiens.
Interviews qui font date
Quoique sa signature soit surtout associée aux événements d’Algérie, Philippe Herreman se passionne aussi pour le Maroc et la Tunisie. De 1959 à 1974, Bourguiba lui accorde quatre interviews qui font date. Devenu chef adjoint du service Etranger, il tient à conserver la rubrique Maghreb, ne la cédant à aucun de ses subordonnés, malgré les convoitises. En novembre 1979, deux ans après avoir été promu à la rédaction en chef, il consacre un article au 25e anniversaire du soulèvement algérien, la « Toussaint rouge ». De façon prémonitoire, il y exhorte les Français à « regarder en face cette page de leur histoire qu’ils ne pourront pas éternellement occulter ».Lire aussi (archive de 1975) : « Nous pouvons, ensemble, rendre la coopération plus efficace pour le développement de la Tunisie », nous déclare le président Bourguiba
Souffrant, sans le montrer, d’une maladie parfois douloureuse, Philippe Herreman a renoncé assez tôt au reportage. Mais il fait preuve d’une inépuisable énergie dans les travaux du desk. Au service Etranger, il est le membre de la « chefferie » qui ne laisse rien passer d’imparfait dans la chaîne de production éditoriale. Le matin, pendant les heures de fabrication du « grand quotidien du soir », ne craignant pas de paraître moins rapide d’esprit qu’il ne l’est en réalité, il questionne le rédacteur à la moindre obscurité ou ambiguïté d’une phras