En République démocratique du Congo, le tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe est en passe de rendre son verdict dans le procès des assassins présumés de l’ancien chef des renseignements militaires, le général Delphin Kahimbi, retrouvé mort le 28 février 2020. Sur le banc des accusés, sa veuve et sa belle-mère, toutes deux inculpées pour homicide volontaire avec préméditation. RFI a pu consulter le dossier d’instruction. Retour sur la fin brutale d’un des généraux les plus connus de l’ère Kabila. Publicité
« Depuis l’incident malheureux qui vous est arrivé le 28 février 2020, vous avez émis plusieurs versions », pointe le général de brigade Jean Baselela Bin Mateto, avocat général des forces armées de la République démocratique du Congo (RDC) et officier du ministère public près de la haute cour militaire. Face à lui, en ce 6 juillet 2020, Brenda Nkoy Okale, la veuve du général Delphin Kahimbi et mère de cinq de ses enfants. Le 28 février aux environs de 8 h du matin, elle avait été la première à découvrir, dans l’un des dressings de leur résidence familiale à Kinshasa, le corps inanimé de l’ex-chef des renseignements militaires, à l’époque accusé de tentative d’espionnage contre le nouveau chef de l’État Félix Tshisekedi. Le tout puissant Delphin Kahimbi avait été suspendu de ses fonctions quelques heures avant sa mort, après avoir été plusieurs fois entendu par le Conseil national supérieur de sécurité. Son domicile avait été perquisitionné, sa garde relevée et remplacée par des membres de la police militaire.
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En ce 6 juillet, la femme du général est convoquée par une commission d’enquête mise en place par le président Félix Tshisekedi après le décès brutal en résidence surveillée de ce proche de son prédécesseur Joseph Kabila [2001-2019] et composé de généraux de l’armée congolaise. Cela fait partie des dizaines de pages d’auditions, de confrontations et de rapports d’experts contenus dans le dossier d’instruction sur la table du tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe, auxquelles Radio France Internationale (RFI) a pu avoir accès. Toutes ces pièces avaient été réunies par le parquet militaire avant que le dossier ne soit transmis à une juridiction civile. Après deux audiences seulement, ce jeudi 27 mai 2021, les avocats des parties devraient débuter leurs plaidoiries.
« Delphin s’est pendu »
« Beaucoup de témoins déclarent que c’est vous qui avez donné cette version de “Delphin Amidjembiki” (NDLR : “Delphin s’est pendu” en lingala), notamment le sergent Serge, le lieutenant-colonel Aboubakar, le major Rambo, le lieutenant-colonel Yav et son épouse, qu’en dites-vous ? », insiste au cours de la même audition l’officier du ministère public. La veuve du général dément ces propos obstinément depuis plus d’un an, comme elle l’a encore fait ces dernières semaines devant le tribunal. « Je n’ai pas dit ça, j’ai dit qu’il a fait une crise », se borne-t-elle à répéter sans convaincre le magistrat militaire. Quand on lui parle de la trace de lien visible autour du cou de son mari, elle assure que « c’est peut-être à l’hôpital qu’on lui a mis ladite corde au cou, mais pas à la maison ». L’officier du ministère public l’interroge aussi sur l’absence d’intrusion dans la résidence qui disposait d’au moins deux caméras de vidéosurveillance. Elle-même assure n’avoir vu personne entrer dans leur chambre pour tuer son mari, mais elle ose suggérer devant les généraux de la commission d’enquête : « Le général Baselela ici présent avait amené beaucoup de gens à la maison, peut-être que l’un d’eux est resté à mon insu ».
Brenda Nkoy Okale n’est pas seule à agacer les membres de la commission d’enquête. Sa mère, Scholastique Mondo Pila, présente au moment des faits et co-accusée dans ce procès, a elle aussi été interrogée sur les derniers instants du général Delphin Kahimbi. Le 12 mars 2020, le général de brigade Jean Baselela Bin Mateto lui explique la situation sans détour : « L’expertise médico-légale a conclu à une pendaison. Ne trouvez-vous pas que vous et votre fille, vous pouvez être considérées comme les premiers suspects, parce que vous ne dites pas la cause directe de la mort du général Delphin ? ». Mais la mère, comme la fille, assure ne pas avoir vu le sillon qui meurtrissait le cou de l’officier découvert ce matin-là ou même la corde qui aurait pu l’asphyxier.
Devant la commission d’enquête et même le tribunal, le numéro deux de l’armée, le général Jean-Claude Yav Kabey, l’un des plus proches amis du défunt et chef d’état-major général adjoint en charge des opérations et renseignements, assure pourtant que l’épouse lui a même montré la corde le lendemain de la découverte du corps, en présence de sa sœur. « Elle me proposera de la récupérer et même de l’amener avec moi. Chose que je refuserai tout en lui conseillant de la remettre plutôt à la commission d’enquête », a-t-il expliqué devant cette même commission le 7 août 2020.
Les derniers jours d’un général déchu
La veuve du général Delphin Kahimbi a plusieurs fois raconté les derniers jours de son époux. « C’est depuis le lundi 24 février que j’avais constaté que mon mari n’était pas bien. Il était stressé, inquiet », déclare-t-elle un mois après, le 20 mars 2020, au parquet militaire. « Au retour du boulot, il m’avait dit qu’il était en train de subir un interrogatoire ». Celui qui est encore chef des renseignements militaires ne lui donne pas de détails. Dans les jours qui suivent, ses ennuis continuent, même s’il n’en parle pas, l’épouse le comprend. « Il lui arrivait de m’envoyer un SMS pour me demander de prier pour lui », précise-t-elle.
Le jeudi 27 février 2020, vers 2 h du matin, « Il m’avait dit que quelqu’un allait me donner ses cartes bancaires, que j’allais devoir retirer de l’argent, je devais en prendre pour lui », raconte-t-elle aux enquêteurs de la commission. Au cours de cette conversation tardive, Delphin Kahimbi lui aurait aussi expliqué que « les gens vont parler beaucoup ». « On me présentera des enfants qui ne sont pas ses enfants à lui. Dans ce cas, je dois les amener à l’hôpital pour faire un test ADN », rapporte encore la veuve du général. Pour la première fois de sa vie, cet officier supérieur et ancien chef rebelle avait même pris soin de rédiger un testament. Ce document découvert après la mort du général est daté du 23 février 2020, cinq jours à peine avant la découverte de son corps. Un des avocats de Delphin Kahimbi interrogé par la même commission d’enquête le confirme et assure avoir été chargé par lui de régler la situation de certains de ses enfants illégitimes.
Plus tard dans la journée du 27 février, la situation du patron des renseignements militaires se dégrade encore. Il est officiellement suspendu de ses fonctions et mis en résidence surveillée. « Il m’avait appelé pour me dire de mettre les enfants à l’écart parce qu’il venait avec des gens à la maison », raconte la veuve du général. Elle a accompagné les enfants à l’étage où se trouvent leurs appartements privés. Quelque temps après, Brenda Nkoy Okale voit son mari arriver avec le général de brigade Jean Baselela Bin Mateto, plusieurs membres de la police militaire (PM) qui ont reçu ordre de ne pas laisser sortir le général Kahimbi et d’empêcher toute entrée sur sa parcelle et d’autres personnes en tenue civile qu’elle n’identifie pas. Ils perquisitionnent, les « PM » restent et les autres s’en vont. Personne ne lui explique rien.
Sur ce qui s’est passé cette nuit-là, les versions de Brenda Nkoy Okale et du général Jean-Claude Yav Kabey ne divergent pas. « Il était très énervé et n’était pas d’accord avec cette décision », révèle l’ami et ancien compagnon d’armes de Delphin Kahimbi à la commission d’enquête. « Il me dira également qu’il avait posé un certain nombre de conditions et si on ne les acceptait pas, cela voudrait dire qu’on cherchait sa mort ». Vers 21 h, l’auditeur militaire général, Tim Mukunto, appelle le général Jean-Claude Yav Kabey pour lui demander de « calmer » son ami Delphin Kahimbi. « Malgré les multiples conseils que je lui ai prodigués, le général Delphin Kahimbi était resté très agité et même menaçant », explique encore Jean-Claude Yav Kabey à la commission d’enquête.
Cette nuit-là, Delphin Kahimbi disait qu’il n’avait pas faim. « Il n’a pas fermé l’œil jusqu’au petit matin », raconte de son côté sa veuve. La dernière fois qu’elle reconnaît lui avoir parlé, « Papa Delphin » montait l’escalier, « mais transpirant abondamment, à tel point que le tricot qu’il portait était mouillé ». Elle tente de l’apaiser : « Je l’ai tenu par les épaules. Il a repoussé mes mains ». Elle le voit redescendre vers le salon et son bureau et retourne s’occuper des enfants. Ils doivent quitter la maison entre 7 h et 8 h pour se rendre à l’école.
Sa garde rapprochée ne croit pas à la thèse d’un suicide
Le dernier à avoir parlé au téléphone avec le général Delphin Kahimbi, c’est le lieutenant-colonel Aboubakar Lubamba. Cet officier des renseignements militaires a fait toute sa carrière aux côtés du général Delphin Kahimbi depuis l’entrée de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo et de l’armée rwandaise en RDC en 1996. Comme tous les matins, sans doute depuis plus de vingt ans et malgré la suspension de son supérieur, il appelle le général Delphin Kahimbi pour lui faire rapport des missions qu’il lui a confiées. Le lieutenant-colonel Aboubakar Lubamba est à Goma, au Nord-Kivu, il est aux environs de 8 h du matin, heure locale, 7 h, heure de Kinshasa. La conversation dure 84 secondes. « Nous avons parlé sans problème, il était détendu et serein », assure l’officier de renseignements à la commission d’enquête. « Vingt minutes après, Madame Brenda va alors m’appeler très agitée et me dira : “Colonel Aboubakar, botinda bato, General akuenyi, Gen amisali mabe” (NDLR : “Colonel Aboubakar, envoyez des gens, le général est tombé, il s’est fait du mal”) ».
Le général John Chinyabuuma Kamukinde, chef du département intérieur de l’état-major des renseignements, a vécu une expérience similaire. Lui aussi fait partie de ces officiers qui ont fait leur carrière à l’ombre du général Delphin Kahimbi. Il était en route vers Bunia, autre théâtre d’opérations, le matin du 28 février 2020. Aux environs de 6 h 30, alors qu’il se trouve à l’aéroport, sur le départ, il échange avec son chef sur sa situation. « Seul le jugement de Dieu est important. Vous êtes témoin de ce que j’ai fait pour mon pays », lui aurait déclaré le général Delphin Kahimbi. Le bras droit du chef des renseignements militaires ne croit pas lui non plus à la thèse du suicide. « Il n’y a que ceux qui le détenaient qui peuvent nous dire de quoi il est mort. Il n’était pas hypertendu », a-t-il certifié le 10 juin 2020 devant la commission. « Le seul mal qu’il avait, concernait son dos suite à un crash d’avion. Alors l’hypothèse de se tuer ne peut pas sortir de ma bouche ».
Cet officier supérieur va en revanche détailler devant ce parterre de généraux les « tentatives d’attaques » dont Delphin Kahimbi aurait fait l’objet dans les mois qui ont précédé sa mort. Dans la nuit du 5 au 6 janvier 2020, deux inconnus arrivés en taxi auraient cherché à s’introduire dans sa maison. Sa garde est parvenue à capturer le chauffeur qui serait « apparenté » à un membre du cabinet du conseiller spécial du président Tshisekedi chargé des questions de sécurité, François Beya. « Il y avait un certain Mundadi Tita qui a été interpellé à l’état-major », raconte encore le général John Chinyabuuma Kamukinde devant la commission d’enquête. « M. Mundadi travaillait au cabinet du conseiller spécial depuis une vingtaine d’années. Mais il menait une campagne sur les réseaux sociaux présentant le général Kahimbi comme étant un officier général qui était en connivence avec les ADF [NDLR : Rébellion islamiste ougandaise qui sévit dans l’est de la RDC] ». « Pour d’autres inquiétudes, je vais rencontrer le président de la commission pour lui en parler en privé », ajoute mystérieusement le chef du département intérieur à l’état-major des renseignements militaires.
Dans l’entourage du conseiller spécial, on dément tout animosité entre Delphin Kahimbi et François Beya et l’on affirme ne pas connaître de dénommé Mundadi Tita. En revanche, M. Fumuato fait bien partie du personnel du cabinet du conseiller spécial. « Il a été suspendu pour indiscipline. Le conseiller spécial ne sait rien de ses démarches auprès du général Kahimbi », précise encore ce proche.
Son chef de la sécurité désarmé pendant la nuit
Le major Justin Bahati, chef de la sécurité et commandant de la compagnie d’intervention de l’état-major renseignements, a lui aussi ouvertement fait part de ses doutes sur la thèse d’un suicide. Il les partage d’autant plus facilement que dans la nuit du 27 au 28 février 2020, des éléments de la garde républicaine ont débarqué chez lui vers 1 h du matin pour le désarmer, lui et ses hommes. Un certain « major Aigle », responsable de la sécurité du chef de la maison civile du président et oncle de Félix Tshisekedi, Monseigneur Gérard Mulumba, se présente, l’accuse d’avoir à son domicile « une cache d’armes sophistiquée en provenance des États-Unis ». Il refuse de montrer un document officiel ou de signer une décharge pour les armes saisies. « Il me demandera de ne pas résister, car ils avaient reçu l’ordre du président de la République », dit sans détour le major Justin Bahati aux généraux de la commission d’enquête. « Mon analyse, c’est que si on désarme le commandant de sécurité et que le lendemain, son chef meurt, il y a de quoi se poser des questions. Que les éléments de la garde républicaine venus me désarmer la nuit puissent m’expliquer toutes ces coïncidences de faits. » L’un des membres de la sécurité du chef de la maison civile expliquera plus tard à la commission qu’une présence suspecte avait été repérée dans l’hôtel où logeait Monseigneur Gérard Mulumba qui se trouvait à quelques centaines de mètres du domicile du major Bahati et qu’ils avaient reçu l’information qu’un « sabotage » était en cours de préparation.
Pour le major Justin Bahati, toutes ces accusations, comme celles portées à l’encontre du général Delphin Kahimbi, à l’origine de sa déchéance, sont injustifiées. « Je l’avais entendu causer avec un correspondant à l’étranger. Il sollicitait une audience avec le commandant suprême », raconte encore le major Justin Bahati. « Après, il me dira que les gens l’accusaient d’avoir acheté les machines pour espionner le président de la République ». Les machines avaient bien été réceptionnées, lui avait confié son chef, mais elles n’étaient pas fonctionnelles « car il n’y a pas de logiciel ». « Tout service de renseignement pouvait en avoir. L’ANR (NDLR : Agence nationale des renseignements) en a », souligne le chef de la sécurité de Delphin Kahimbi. Le major Justin Bahati fait rapport à son patron des incidents de la nuit et vers 3 h du matin, il reçoit un « bien reçu » sans plus de commentaires. Cet officier, comme d’autres sous les ordres de Delphin Kahimbi, assure qu’il les avait instruits de ne céder à aucune provocation. « Il ne voulait pas se comporter en officier indiscipliné, sinon il allait prendre d’autres dispositions », précise encore le major Justin Bahati. « Il avait ajouté qu’il faudrait rester discipliné comme lui ».
Cette nuit-là, Delphin Kahimbi continue d’échanger avec d’autres proches et les déboires du major Justin Bahati pourraient l’avoir affecté plus qu’il ne l’aurait laissé paraître. « Ça l’a mis très mal à l’aise », affirme l’un d’eux. « Il l’a pris comme un signal que, malgré toutes les promesses qui lui avaient été faites, on allait venir le chercher ». Selon cet ami du général, cela faisait bien six mois qu’il y avait des « escarmouches ». « Tout le monde voulait son poste. Il était accusé de tout et ça le rendait très agressif envers les autres responsables des services de sécurité », confie-t-il à RFI. « Mais jusque-là, on était arrivé à gérer. Je n’arrive pas moi-même à comprendre cette mort. Il avait demandé à quitter son poste, il aurait pu poursuivre sa carrière universitaire… ». Un autre ami assure que « le général Delphin menaçait de tout déballer, même son ami Joseph Kabila pouvait chercher à le faire taire ».
La disparition suspecte d’un domestique
D’autres éléments dans le comportement de la veuve du général Delphin Kahimbi l’ont rendue suspecte. Il y a d’abord le fait qu’elle n’ait pas accompagné son mari à l’Hôpital du Cinquantenaire ce matin-là. Elle envoie sa mère et s’attarde dans la maison. Devant la commission d’enquête, elle confie avoir eu ses règles « sous le choc » et avoir dû se changer avant de prendre la route. Au lieu de s’y rendre directement, malgré l’urgence, elle fait un nouveau détour et passe prendre son pasteur, le « prophète de l’Église Bima », Jérémie Kuminuna. C’est chez l’autre « prophète » de cette même église, Jeannot Amudiandroy, que des agents de l’ANR viendront saisir au lendemain de la mort, le samedi 29 février, quatre sacs de documents, notamment des titres de propriété, et même une arme appartenant à la famille du général. Le frère de Brenda Ngoy Okale, mort depuis, les aurait déposés sur ordre de leur mère, ce que cette dernière dément.
Les deux pasteurs assurent n’avoir aucun lien avec le décès du général Delphin Kahimbi, mais se retrouvent sur le banc des accusés. « La commission constate que dans cette affaire, il n’y a que vos frères et sœurs, vos neveux et votre mère, vos pasteurs, c’est trop de coïncidences ! Il n’y a aucun membre de la famille du général Delphin Kahimbi », lance l’officier du ministère public à la veuve au cours de l’une de ses auditions. « Ici à Kinshasa, le général Delphin n’avait pas vraiment de famille », lui rétorque Brenda Ngoy Okale.
Plus grave, aux yeux de la commission d’enquête, l’épouse du général omet de mentionner la présence de plusieurs domestiques dans leur résidence de Binza Pingeon dans la nuit du 27 au 28 février 2020 et se contredit beaucoup sur l’un d’eux, un certain « Gérard ». Plusieurs des militaires présents le placent sur les lieux. L’un des principaux témoins dans ce dossier, c’est le sergent Serge Mashukamo Djino, chauffeur du général. Il affirme que le « domestique Gérard » lui avait demandé ce matin-là « s’il pouvait torchonner la maison » [NDLR : nettoyer la maison]. L’officier lui avait répondu par l’affirmative. « Trois minutes après cet échange, j’entendais des bruits dans la chambre du général comme s’il y avait une bagarre », explique le sergent Serge Mashukamo Djino. Olivier Brenda Ngoy Okale l’appelle par la fenêtre. Le chauffeur se précipite à l’étage et découvre la femme du général et sa belle-mère autour du corps inanimé du général. « J’ai demandé à Maman Brenda : “C’est quoi maman ?” Elle m’avait répondu en lingala comme suit : “Delphin s’est pendu” », relate le sergent Serge Mashukamo Djino.
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Le « domestique Gérard » disparaît quelques jours après. L’équipe d’enquêteurs de l’auditorat militaire remonte sa piste. Il est amené par Olivier Albert Makita Manguza, neveu de Brenda Ngoy Okale, chez Claudine Aminata Bahati, elle-même mère d’une amie de l’épouse du général. C’est ce qui justifie leur arrestation à l’un comme à l’autre. Devant la commission d’enquête, Claudine Aminata Bahati explique ne pas avoir l’identité complète de cet homme à tout faire, mais l’avoir employé chez elle et l’avoir même recommandé à Brenda Ngoy Okale à la fin de l’année 2020. « Gérard m’a dit qu’il avait entendu Madame Brenda crier au secours. C’est ainsi que le chauffeur et lui, Gérard, étaient montés », assure-t-elle aux enquêteurs. Elle affirme avoir elle-même chassé ce domestique trop bavard qui aurait trouvé refuge dans l’église où elle prie avant de disparaître.
« Comme il parlait swahili, je pensais qu’il était soldat », confie pour sa part Olivier Albert Makita Manguza à la commission d’enquête. Le neveu maternel de Brenda Ngoy Okale se souvient avoir appelé sa tante depuis le cachot de l’auditorat militaire. « Maman Brenda m’avait demandé de ne rien dire sur les domestiques de la résidence si on me posait la question », avoue-t-il aux enquêteurs, jetant ainsi le trouble. Un autre témoin encore le présente comme Gérard Ndayisenga Bashizi, un Burundais sans papier qui cherchait de l’argent pour pouvoir retourner au Sud Kivu. En juillet 2020, l’officier chargé de l’enquête, le général de brigade Jean Baselela Bin Mateto, ordonne même qu’un de ses comptes soit bloqué. Il y avait depuis plus d’un an quelque 2 000 dollars d’économies. Mais aucun Gérard ne figure finalement sur la liste des accusés.
L’autopsie conclut à une pendaison
Toute l’affaire semble tourner autour de la qualification de la nature de la mort du général Delphin Kahimbi. Mais le débat s’est clos devant le tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe sans que les équipes de police scientifique et de médecins légistes soient appelées à témoigner. Trois jours après la découverte du corps, le 2 mars 2020, le chef des renseignements militaires a pourtant bien été autopsié par l’unique médecin légiste congolais du pays et un de ses confrères étranger du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH). Les deux experts constatent d’abord que le général Kahimbi, « très musclé », « mesurant environ 1 m 50 et pesant environ 90 kg » ne présente aucune trace de blessures défensives, ni plaie, ni coup, mais un « sillon de 5 mm de largeur » autour du cou. « La cause exacte de la mort, c’est l’anoxie cérébrale résultant d’une pendaison incomplète et atypique », peut-on lire dans leur rapport daté du 4 avril 2020. On parle de « pendaison incomplète » quand une partie du corps est en contact avec le sol ou un autre objet. Concrètement, cela signifie qu’il est possible de se pendre à genoux ou même allongé, avec une corde accrochée à un support et le contrepoids du corps. Le qualificatif « atypique » concerne le positionnement du nœud. En d’autres termes, l’hypothèse que la victime ait été étranglée par un tiers avec ses mains est exclue et quelles que soient les vraies circonstances de sa mort, le général Kahimbi ne s’est pas défendu.
Plusieurs éléments permettent d’habitude aux experts de médecine légale de différencier un meurtre d’un suicide. Dans l’affaire du décès du général Delphin Kahimbi, ce qui ne facilite pas leur tâche, c’est que la scène avait été polluée, le corps déplacé, la corde subtilisée. Pire encore, les deux médecins légistes sont dans l’incapacité de fixer l’heure de la mort, « vu le nombre de données manquantes » et notamment la température exacte du corps du général à son arrivée à l’hôpital du Cinquantenaire. Mais ils avaient demandé des analyses toxicologiques pour exclure toute « soumission chimique », c’est-à-dire que Delphin Kahimbi ait été dans l’incapacité de se défendre parce qu’on lui aurait administré une substance à son insu. Là encore, malgré la présence d’un psychotrope puissant dans son sang, les deux experts ne laissent aucune ambiguïté. « Dans le cas présent, la présence de PCP (= Phencyclidine) à une dose de 25,2 ng/ml, dépassant à peine la limite supérieure de la normale oriente davantage vers une consommation régulière que vers une soumission chimique », peut-on lire dans leur rapport.
Étrangement, malgré la participation d’un expert des Nations unies à cette autopsie, ce premier rapport ne semble pas satisfaire le ministère public. En tout cas, le 11 septembre 2020, le général de brigade Jean Baselela Bin Mateto, va demander à un autre médecin, le docteur Paul Kabasele Mputu « d’interpréter » le travail de ses deux confrères. Sans nouvel examen du corps ou analyse, ce nouvel expert adopte un positionnement diamétralement opposé à ses prédécesseurs et conclut à « une mort criminelle ». « C’est une absurdité totale, c’est la science qu’on assassine », dénonce un membre de la première équipe de médecine légale. C’est pourtant sur la base de ce deuxième rapport que Brenda Ngoy Okale risque d’être reconnue coupable d’homicide volontaire avec préméditation. « Cette dame a fait trop de déclarations contradictoires, ses accusations jettent le trouble dans les rangs de l’armée, il n’est pas permis d’entretenir le doute », avait justifié à RFI peu après son inculpation le général Tim Mukunto, auditeur militaire général aujourd’hui décédé. Cette vision inquiète l’équipe de médecine légale. « On voit toute sorte de réactions de déni chez les familles de victimes », s’inquiète l’un des membres de l’équipe médico-légal interrogés par RFI. « La dame peut refuser de le reconnaître parce que c’est contraire à ses croyances ou même s’être convaincue que son mari n’a pas pu se tuer ». Cet expert insiste sur l’importance d’en revenir aux preuves matérielles. « Vous pouvez croire ou ne pas croire qu’il se soit suicidé. Ce ne sont pas des considérations que nous, nous prenons en compte », renchérit-il encore. « Ce que je vous dis, moi, c’est qu’il n’était pas intoxiqué et qu’il ne s’est pas défendu, c’est ce qui ressort du rapport. Ce n’est pas à moi d’interpréter, mais à voir sa musculature, je doute que ça puisse être quelqu’un qui se laisse tuer sans chercher à se défendre ».