Des anciens cadres ont raconté en détails la mise en place du système de “ventilation” des dépenses excessives de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012.
Quoi qu’il en coûte. Après un premier report et plusieurs jours à étudier les recours juridiques et autres rappels des faits, le procès Bygmalion est enfin entré dans le vif du sujet mardi 25 mai. Depuis, les témoignages de trois des quatre ex-cadres de l’agence organisatrice des meetings de Nicolas Sarkozy en 2012 -qui comparaissent aux côtés d’anciens membres de l’équipe de campagne et de l’UMP (devenue Les Républicains)-, ont tourné à l’opération déballage. Ou à la grande défausse.
Tour à tour, Franck Attal (qui a organisé ces réunions électorales de grande ampleur), Sébastien Borivent, son supérieur hiérarchique, et Guy Alvès, co-fondateur de Bygmalion, ont raconté la même version: les meetings qui s’accélèrent et l’équipe Sarkozy qui en veut toujours plus, puis la folle demande de l’UMP. Le plafond de dépenses autorisé va exploser, il va falloir facturer le parti via des conventions imaginaires et autres petites manipulations.
À Bygmalion, le président Bastien Millot, très proche du patron de l’UMP Jean-François Copé, donne son “feu vert”, assurent les trois à la barre, racontant au tribunal le “tabou” du système des doubles factures pour masquer les dépenses excessives, jusqu’au pacte de “vérité” au moment des révélations. Bastien Millot, lui, a toujours soutenu qu’il ne savait rien. En tout cas jusqu’à son interrogatoire prévu à partir de ce vendredi 28 mai.
Guy Alvès: “On n’avait pas le choix”
L’UMP, “c’est son client”, insistait Guy Alvès la veille, jeudi, tout en reconnaissant sa part de responsabilité dans l’affaire qui vaut à 14 prévenus, dont Nicolas Sarkozy, de comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris. L’ancien chef de l’Etat, jugé uniquement pour “financement illégal de campagne”, et pas pour la fraude qui l’accompagne, n’est d’ailleurs pas présent à l’audience.
“J’ai accepté. J’étais conscient que c’était illégal. Je l’ai fait et je l’assume”, a ainsi répété Guy Alvès, de son débit rapide qui monte parfois dans les aigus, ajoutant: “On n’avait pas le choix. Si je dis ‘non’, ma boîte est morte et je mets au tapis 40 collaborateurs”. Et puis, quelle voie de recours? “Je ne vois pas le président-candidat m’appeler pour s’excuser et me demander à quel ordre il met le chèque!”.
Une occasion pour la présidente de l’interroger sur la facilité avec laquelle la fraude a été acceptée: “On a l’impression que ce passage de ‘ligne jaune’ comme vous dites, ne suscite que très peu de réaction.” Tout de même, a-t-elle rappelé, on parle de dépenses de campagne qui se seraient élevées à au moins 42,8 millions d’euros, près du double du plafond légal autorisé. Pour Bygmalion, c’est 80% de la facture -16 sur 20 millions- qui disparaîtra des comptes et sera facturée à l’UMP sous couvert de conventions fictives.
“Assez bizarrement, une fois la décision prise, ça devient un sujet tabou chez nous”, lui a répondu Guy Alvès, avant de raconter: “quand il faut en parler, par exemple quand arrivent de nouvelles factures, on le fait de manière détournée. On se dit ‘tu sais si ça rentre?’ mais on ne formalise pas l’infraction”.
Jusqu’à novembre 2012 et un premier article du Canard enchaîné. Guy Alvès, Franck Attal et Bastien Millot se réunissent et “actent le fait que si ça devait déraper on prendrait nos responsabilités”, selon les mots du premier. “Si d’aventure on devait aller à ce cas extrême qui est… aujourd’hui, on dirait la vérité”, a-t-il encore lancé, dans un petit rire nerveux, en jugeant “totalement incompréhensible” la position de Bastien Millot.
Franck Attal: “Et là Jérôme Lavrilleux me dit ‘on a un problème’”
Mercredi, c’est Franck Attal, le directeur adjoint de la filiale événementielle de Bygmalion, Event & Cie, organisateur des fameux meetings qui a raconté, en détails, sa version de la mise en place du système de “ventilation” des dépenses excessives.
Alors que les meetings sont “trop chers”, lui dit-on “autour de mi-mars” 2012 lors d’une convocation par l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy, selon ses dires, il propose une solution, étayée dans un mail. Peu de temps après, “des prestataires (m’alertent) qui n’ont toujours pas été payés.” Franck Attal contacte alors Jérôme Lavrilleux, directeur adjoint de la campagne. “J’expose la situation”, raconte-t-il, “et là Jérôme Lavrilleux me dit ‘on a un problème, on est partis sur un nombre de meetings au-delà de ce qui était programmé, et on a un budget qui va dépasser le plafond, il va falloir que vous facturiez une partie des dépenses de meetings sur les conventions du parti’”.
Assis à un mètre de lui, Jérôme Lavrilleux est resté impassible, pendant que Franck Attal précisait: “Les bras m’en tombent.” À l’étonnement du tribunal pourtant, l’ancien cadre de Bygmalion n’a pas réussi à se souvenir exactement qui d’autre, parmi les membres de l’équipe de campagne qui comparaissent à ses côtés, assistait aussi à la réunion.
De quoi provoquer l’ironie de Christian Saint-Palais. “Vous ne nous vous souvenez plus exactement de quand et avec qui, mais vous vous souvenez parfaitement” de ce qu’a dit Jérôme Lavrilleux, a ainsi lancé son avocat, qui “doute de la réalité de cette scène”.
L’ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé, désormais retraité de la politique, “a toujours soutenu qu’il avait su, mais plus tard”, a-t-il ajouté. C’est lui qui avait révélé le système dans une surprenante confession télévisée en 2014. Il est le seul parmi les anciens de l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy à avoir reconnu l’existence de la fraude. Leurs auditions sont prévues pour la première semaine de juin.