Trente deux ans après la répression sanglante des étudiants chinois place Tiananmen à Pékin, le « massacre du 4 juin 1989 » reste totalement passé sous silence en Chine continentale. Pendant trois décennies, le triste anniversaire a été commémoré à Hong Kong, mais pas l’année dernière, officiellement à cause de la situation sanitaire. Les traditionnelles veillées sont encore bannies cette année, sur fond de reprise en main par Pékin. Ce vendredi 4 juin à l’aube, l’une des organisatrices du mouvement qui avait l’intention de se rendre à titre privé dans le parc le soir-même a été arrêtée par la police. Elle s’était confiée à RFI la veille de son arrestation. Publicité
Avec notre correspondante à Hong Kong, Florence de Changy
Il y a deux jours, la police a annoncé qu’elle déploierait 3 000 hommes pour empêcher d’éventuels participants de rejoindre le lieu symbolique de la cérémonie de commémoration du 4 juin, le parc Victoria. Jeudi, le nombre est passé à 5 000 et puis 7 000 dans la soirée.
S’habiller en noir et porter une chandelle pourrait être passible de cinq ans de prison. Avec la menace de la loi de sécurité nationale, les organisateurs de la veillée ont appelé cette année à respecter l’interdiction et ont même annulé la veillée en ligne.
Cependant, Chow Hang-tung, brillante avocate spécialisée dans la défense des droits de l’homme en Chine, avait l’intention de se rendre coûte que coûte au Parc vendredi après-midi : « Ce qui est interdit, c’est d’organiser une assemblée illégale, confiait-elle à RFI ce jeudi, la veille de son arrestation. Mais ce n’est quand même pas interdit de se promener dans un parc, ce n’est pas interdit que je sache ? Donc pourquoi ne pourrais-je pas faire juste cela ? Je ne veux pas capituler à l’avance. »
Résignation et colère sourde
Avant son arrestation, Chow Hang-tung était l’une des dernières figures de l’opposition qui ne soit pas encore en prison. C’était donc aussi par solidarité pour ceux qui sont condamnés qu’elle estimait important de continuer le combat pour la démocratie : « Bien sûr, vous êtes tristes en pensant à vos camarades qui sont en prison. Mais en fait, penser à leur emprisonnement renforce ma détermination à continuer ce mouvement. »
Reste à voir si son arrestation va, à son tour, renforcer la détermination des Hongkongais à manifester ce vendredi soir. « Ils sont à la fois résignés et extrêmement ulcérés sur la situation politique, explique Jean-Pierre Cabestan, professeur à l’université baptiste de Hong Kong, au micro de Jelena Tomic, du service International de RFI. Donc, soit on la ferme sur la voie publique, soit on s’en va. Un certain nombre de gens ont décidé de partir pour que leurs enfants échappent à la propagande. Après, la question, c’est de savoir si à un moment où à un autre, l’opposition sourde à tout cela sur le plan politique ne va pas exploser, ne va pas donner lieu à une forme d’explosion et de ras-le-bol, et donc à de nouvelles confrontations avec la police. »
L’explosion de colère peut-elle se manifester à l’occasion de cette nouvelle veillée interdite ? Aura-t-elle lieu plus tard ? « On n’en sait rien, reconnaît Jean-Pierre Cabestan. En tout cas, on sent quand même une espèce de résignation mais aussi une forme de colère. Maintenant, la nouvelle légalité qui s’impose à tous, pour la déifier, c’est jusqu’à cinq ans de prison. Donc beaucoup de gens se disent qu’il faut trouver d’autres moyens de commémorer cette tragédie [de Tiananmen], et peut-être préférer ne pas défier la police de manière directe. »
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« Adopter une bougie consumée »
Justement, certains Hongkongais eux ont prévu de contourner l’interdit en allumant la torche de leur smartphone, en lisant des poèmes ou en portant des t-shirts imprimés pour l’occasion. Durant des années, l’artiste Kacey Wong a collecté des bougies allumées lors des veillées en hommage aux victimes de la répression de Tiananmen. Des centaines de morceaux de bougies consumées qu’il souhaite voir disséminées.
« Cette année, j’ai décidé de créer cette œuvre intitulée “La lumière des bougies est coupable”, explique-t-il à Hermine Roumilhac de la rédaction en chinois de RFI. L’inspiration est venue de ma collection de restes de bougies consumées. Pour moi, c’est très beau car cela témoigne de l’amour et de l’attention du peuple de Hong Kong à l’égard des victimes du massacre de Tiananmen. Cette année j’ai décidé de tout donner à deux magasins, où les gens peuvent venir adopter gratuitement ces restes de bougies. Je pense que c’est important d’aller déposer ces objets en lieu sûr. »
« Il n’est plus possible d’avoir un rassemblement public, poursuit Kacey Wong, mais je pense que les gens à Hong Kong sont créatifs. Il y a plein de façons différentes de commémorer, peut-être sur les réseaux sociaux, peut-être en bord de mer ou en allant dans ces magasins pour adopter une bougie consumée et en la déposant dans un lieu sûr. De cette façon, nous pouvons continuer à entretenir le souvenir de ceux qui ont sacrifié leurs vies pour la liberté et la démocratie. »
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Acte de subversion
Depuis l’interdiction en 2020 pour raison sanitaire de la traditionnelle veillée du souvenir du massacre de Tiananmen, le climat politique s’est considérablement dégradé dans l’ex-colonie britannique. Les autorités ont mené une répression implacable du mouvement pro-démocratie qui avait mobilisé massivement dans les rues en 2019 la population contre les ingérences de Pékin.
L’instrument de cette reprise en main est une loi draconienne sur la sécurité nationale à la formulation très floue, qui a pour effet d’empêcher presque toute forme de dissidence. « Pékin a décidé d’appliquer la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong dans son ensemble et donc de considérer toute critique du système politique chinois, c’est-à-dire la dictature d’un parti unique sur l’ensemble de la Chine, comme un acte de subversion, analyse Jean-Pierre Cabestan. Donc les commémorations de Tiananmen, qui justement visent à dénoncer le système de parti unique en Chine et promouvoir la démocratie, sont considérés comme des actes de subversion et donc sont maintenant interdites.
« Les raisons sanitaires ont été évoquées au début mais on s’est bien aperçu que ce n’était plus cela, poursuit le sinologue. Le motif de l’interdiction, c’est que maintenant, à Hong Kong, comme dans le reste de la Chine, il faut passer sous silence Tiananmen. On n’a plus le droit de parler du massacre. Cela avait commencé dans les écoles en édulcorant les programmes d’histoire, il y a quelques semaines déjà. Maintenant, cela s’étend à la sphère publique et aux commémorations de Tiananmen.