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(rfi.fr)Camps du Xinjiang: «Par la coercition, assimiler toutes les minorités musulmanes à cette culture chinoise homogène»

 (rfi.fr)Camps du Xinjiang: «Par la coercition, assimiler toutes les minorités musulmanes à cette culture chinoise homogène»

« Comme si nous étions des ennemis de guerre », c’est le titre du rapport que publie ce jeudi l’ONG Amnesty International sur les internements de musulmans au Xinjiang, cette région du nord-ouest de la Chine. Jusqu’à un million de personnes y seraient enfermées dans ce que Pékin appelle des « centres de formation », en fait, affirment les ONG, des camps d’internement. L’objectif, affirme Amnesty International, n’est pas de lutter contre une quelconque menace terroriste, mais d’assimiler la population musulmane dans la culture chinoise. Et pour cela, Amnesty l’affirme : Pékin va jusqu’au crime contre l’humanité. Entretien avec Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France.PUBLICITÉ

RFI : Comment avez-vous enquêté ?

Cécile Coudriou : Amnesty International a pu s’entretenir avec une cinquantaine d’anciens ou d’anciennes détenus. Ce sont des témoignages inédits. Nous avons pu aussi interroger environ 70 proches de ces familles, mais aussi des journalistes, des informateurs et des cadres administratifs chinois. À cela s’ajoutent des analyses d’images numériques, satellites, ainsi que des documents qui avaient fuité. Tout cela corrobore notre théorie qu’il s’agit bien de crimes contre l’humanité. C’est une expression forte, mais qui n’est certainement pas dite au hasard, car les violations dont nous parlons ici sont des internements de masse avec des tortures systématiques et autres formes de mauvais traitements. Et également une façon de nier la dignité humaine de manière systématique qui est extrêmement problématique : on parle réellement de persécution dans ces camps d’internements – qui n’ont rien de camps de rééducation ou encore moins de formation, comme la propagande chinoise voulait nous le faire croire.

Que vous ont dit ces personnes sur ce qu’elles ont vécu dans ces camps ?

La première chose à dire, c’est que l’argument selon lequel ces personnes auraient choisi d’aller dans ces camps – soit pour se former, soit pour être éduquées, est totalement fausse. Il s’agit bien d’une volonté, par la coercition, d’assimiler toutes les minorités musulmanes (pas seulement les Ouïghours d’ailleurs) à cette culture chinoise homogène, et à refuser toute pratique religieuse et culturelle de cette minorité musulmane.

Pour cela, dans ces camps, du matin au soir, chaque heure est « régimentée » pour qu’il n’y ait plus aucune autonomie, plus aucune liberté. Donc, il peut y avoir des cours, qui s’apparentent évidemment à de l’endoctrinement, pour bien assimiler la propagande chinoise et pour bien rejeter l’islam, mais aussi la culture musulmane en général, remplacés par une forme d’adoration au Parti communiste chinois et en particulier à Xi Jinping, qui serait leur nouveau dieu. À ces heures de cours s’ajoutent parfois des heures où ils sont obligés de rester sans rien faire.

Et lorsqu’il y a la moindre désobéissance, il y a évidemment des punitions, des châtiments, y compris corporels – le plus frappant étant la « chaise du tigre », une chaise qui comprend des entraves à la fois aux pieds et aux poignets, et qui oblige à garder des positions parfois très inconfortables et douloureuses pendant des heures, parfois même pendant des jours. Il y a également toutes sortes de traitements – privations de sommeil, de nourriture, températures extrêmes de froid – destinés en fait à briser ces personnes et faire en sorte qu’elles renient elles-mêmes leur propre culture.

Et elles ont obligation de parler en mandarin

Bien des Ouïghours, mais aussi des Kazakhs et d’autres minorités musulmanes ne parlent pas au départ le mandarin. Donc là ils se voient dans l’interdiction absolue d’utiliser leur propre langue, et pas seulement leur culture. Et c’est une forme de punition systématique, là aussi, lorsqu’ils emploient leur langue. Tout est fait pour leur faire oublier leur identité. 

► À lire aussi : À Londres, un «Tribunal ouïghour» examine les persécutions contre la minorité au Xinjiang

Sur quelles bases un habitant du Xinjiang se retrouve-t-il dans ces camps ?

Les prétextes invoqués sont tous plus ridicules les uns que les autres : outre celui de la religion islam, qui est immédiatement associée à une menace islamiste et au terrorisme, il y a également tout contact avec l’étranger. L’Occident bien sûr, mais même des personnes qui vont visiter de la famille au Kazakhstan sont immédiatement arrêtées et détenues à leur retour – et parfois pour des motifs soit inconnus, soit par exemple parce qu’elles ont l’application WhatsApp, parce qu’elles ont utilisé un VPN… C’est extrêmement arbitraire, ce n’est absolument pas lié à des crimes reconnus en droit international. On se rend compte qu’il n’y a pas un système judiciaire qui permet ces détentions, parce que la Chine ne reconnaît pas qu’il s’agit de prisons ; donc dans leur logique, ça pourrait s’expliquer, évidemment pour nous, c’est inacceptable…

Par ailleurs, même la libération reste mystérieuse : les personnes que nous avons interrogées ne comprennent pas pourquoi elles sont sorties. Mais ce dont elles sont absolument persuadées, et à juste titre, c’est qu’elles restent sous surveillance. Parfois elles doivent même continuer ces enseignements, cet endoctrinement. Elles ont parfois des cadres administratifs qui viennent chez elles, plusieurs jours par semaine, pour vérifier qu’aucun artefact religieux ou culturel n’est resté dans leur domicile, pour qu’elles aient oublié leur culture, et pour faire en sorte le plus possible qu’elles soient totalement assimilées à la culture chinoise.

Vous publiez, à la fin de ce rapport, de nombreuses recommandations. Quelles sont-elles ?

Bien sûr, nous avons des recommandations, basées sur le droit international, au gouvernement chinois lui-même, pour qu’il cesse cet internement et qu’il mette en prison seulement des personnes qui ont commis réellement des actes délictueux.

Mais nous ne sommes pas tout à fait optimistes vis-à-vis du gouvernement chinois. C’est pourquoi nous voulons agir aussi au niveau de l’ONU, du Conseil des droits de l’homme,  pour demander une enquête indépendante. Et comme nous savons également qu’il y a le problème du veto au Conseil de sécurité de l’ONU – que la Chine peut très bien utiliser malheureusement sans arrêt, on a une autre possibilité qui serait de passer par l’Assemblée générale des Nations unies, de façon à pouvoir faire adopter une résolution pour pouvoir enquêter sur ces violations.

Et bien sûr, il faut que les États eux-mêmes élèvent réellement la voix, que chaque occasion soit saisie pour faire entendre aux autorités chinoises que nous ne sommes pas dupes de leurs propagandes et de leurs mensonges, et que ces camps d’internement et les traitements cruels, inhumains et dégradants qui y sont commis doivent cesser. Et il faut qu’il y ait une sorte d’unisson dans la communauté internationale pour faire une pression maximale sur la Chine.

► À lire aussi : Ouïghours: un rapport documente l’emprisonnement des imams en Chine

Vous insistez aussi sur l’accueil

Il est très important que toutes les personnes qui ont réussi à fuir ce régime, et qui peuvent enfin parler librement lorsqu’elles l’ont quitté, soient accueilles, qu’elles reçoivent l’asile. Et que les pays qui malheureusement (par exemple l’Égypte) ont parfois eu recours à des refoulements vers la Chine pour des intérêts bassement économiques cessent de le faire. Donc, c’est aussi un message que nous envoyons à la communauté internationale : un appel à la solidarité avec des personnes qui sont percutées depuis bien trop longtemps, et ça doit absolument cesser. 

Ibrahima Bah

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