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(rfi.fr)Sammy Baloji: un murmure monumental sur l’histoire du C(K)ongo.

 (rfi.fr)Sammy Baloji: un murmure monumental sur l’histoire du C(K)ongo.

Depuis sa participation à la Documenta 14, Sammy Baloji est devenu une figure majeure de l’art contemporain. Aux Beaux-Arts de Paris, son exposition, « K(C)ongo, fragments of interlaced dialogues », fait ping-pong entre des expériences personnelles et des archives officielles souvent oubliées ou cachées pour nous raconter autrement les relations entre les K(C)ongolais et les Occidentaux. Avec cet artiste plasticien de 42 ans, né à Lubumbashi, oscillant aujourd’hui entre la RDC et la Belgique, les objets prennent de la hauteur, et nous avec. Publicité

Le parcours que l’artiste congolais Sammy Baloji a tracé pour nous aux Beaux-Arts n’est pas simple. Il serpente à travers des objets, des œuvres, des histoires. Préparez-vous de devoir y regarder plutôt deux fois et réfléchir trois fois pour faire ensuite encore un tour pour, peut-être, percer l’apparence et plonger dans la compréhension. Son art touche à la subconscience. Ses œuvres regorgent aussi bien d’histoires de l’art que de l’esclavage et de l’exploitation, et recomposent l’Histoire. Entretien.

Dans le titre de votre première exposition personnelle à Paris, K(C)ongo, fragments of Interlaced dialogues, vous avez écrit le K(C)ongo à la fois avec un C et avec un K. Qu’est-ce qui change quand on écrit le Congo ou le Kongo ?

Sammy Baloji : Là, repose tout le problème par rapport à la question de la réinvention ou à la question du territoire, mais il peut y avoir aussi des questions linguistiques. Le Kongo, c’est l’empire Kongo, tout simplement. Mais ce même empire va être subdivisé entre trois pays colonisés – Congo-Brazzaville, Congo-Kinshasa et Angola – et trois différents pouvoirs occidentaux : la France, la Belgique et le Portugal, qui vont se partager cet empire, après l’avoir mené à son déclin.

Le Congo avec un C est celui après la dénomination française, parce que le C se dit K en français quand c’est suivi d’une voyelle. Donc, le C est une invention qui va venir beaucoup plus tard que l’empire Kongo.

Donc, il se crée déjà une succession, une chronologie, mais aussi une histoire de violence, autant pendant la première histoire qu’au moment de la seconde. Et moi, je relie les deux, parce que je me retrouve dans ces deux territoires par un ordre établi lors de la table ronde de la Conférence de Berlin [1884-85] qui va partager l’Afrique. Moi, je me suis retrouvé dans l’espace Congo-Belge. Du coup, j’ai aussi comme héritage cette histoire du Kongo avec un K.

Un métier à tisser avec un tissu kongo dans l’exposition « K(C)ongo, fragments of interlaced dialogues » de Sammy Baloji aux Beaux-Arts de Paris.
Un métier à tisser avec un tissu kongo dans l’exposition « K(C)ongo, fragments of interlaced dialogues » de Sammy Baloji aux Beaux-Arts de Paris. © Siegfried Forster / RFI

Votre exposition parle de « fragments de dialogues interlacés ». Le dialogue, quel rôle joue-t-il dans votre travail ?

Le dialogue, pour moi, joue le rôle d’une enquête. Pas forcément de comparaison, mais c’est l’étude des documents, des faits historiques. Cela me peut mener à une étude comparée, mais aussi juste à une étude de comparaison de documents qui peuvent m’amener à une troisième option. Les fragments, c’est évidemment des moments mémoriels, parce que la mémoire fonctionne comme ça. Elle ne garde pas tout. Elle fonctionne aussi par fragments, elle essaie de relier ces éléments. Il y a un choix, une sélection qui se fait. Il y a des choses que nous oublions, des choses que nous n’oublions pas et pour lesquelles nous produisons un effort pour ne pas les perdre. Nous produisons aussi une activité intellectuelle pour ne pas les perdre.

Vous mettez souvent au cœur de votre travail le regard occidental. Pour comprendre, est-ce plus important d’analyser le regard occidental que le regard k(c)ongolais ?

Pas essentiellement le regard occidental, non. Je pense que la plupart des séries que j’ai faites en vivant au Congo, portaient sur la population elle-même. Et sur sa mémoire, liée justement à l’occupation coloniale, à l’industrie, à l’architecture ou au patrimoine architectural. Là, où des enjeux politiques ou des enjeux de friction se mettent en place, c’est quand on commence à parler de la question coloniale, de la classification, de la hiérarchie, et ainsi de suite. De là vient tout un héritage qui vient à la fois de la colonisation tout comme de la traite négrière.

Vous affirmez : « Avec l’art cinétique, je propose un changement de regard sur ces objets ». Comment arrivez-vous concrètement à changer le regard, par exemple avec votre œuvre Wunderkammer ?

C’est très simple. Dans l’exposition, il y a un métier à tisser avec une pièce, un tissu du Kongo, qui a été inventorié en 1892. Il se trouve actuellement au Smithsonian Museum à Washington. Ce tissu, je l’ai reproduit en partie, avec un métier à tisser industriel. J’ai laissé apparaître aussi des fils, pour qu’on puisse voir tout le processus de la production de l’image. J’ai mis en exergue cette matrice qui va fabriquer l’image pour rappeler que cette technologie est ancienne, c’est une valeur universelle. Cette même technicité continue aujourd’hui. Les ordinateurs fonctionnent aussi avec le système binaire. C’est le même système utilisé par le tissage pour la fabrication de l’image, mais avec des pixels. Ce même savoir est récurrent, juste transposé sur d’autres choses. Pour moi, cela permet à échapper à toutes ces catégorisations que ces objets ont dû subir pendant plusieurs siècles, et cela continue… En même temps, ils sont une source d’inspiration pour nous tous.

Détail de « Wunderkammer, Work in Progress », œuvre de Sammy Baloji, exposée aux Beaux-Arts de Paris.
Détail de « Wunderkammer, Work in Progress », œuvre de Sammy Baloji, exposée aux Beaux-Arts de Paris. © Siegfried Forster / RFI

C’est-à-dire, vous rendez visible l’évolution du statut de ces objets : d’abord objets de curiosité, ensuite pièces ethnographiques, et aujourd’hui œuvres d’art. Au-dessus de nous trône une tenture des Nouvelles Indes, La négresse portée dans un hamac (1742-44). Qu’est-ce qui vous a frappé dans cette tapisserie ?

Les Nouvelles Tentures des Indes sont encore une fois des tissus, cette fois fabriqués aux manufactures des Gobelins. Cela a commencé sous Louis XIV avec Colbert. Il va mettre en place des tentures qui vont servir de cadeaux diplomatiques de la France vers des pays voisins ou des pays en coopération politique, économique. Comme les tissus kongo avaient servi de cadeaux diplomatiques du roi kongo vers le Portugal ou du Portugal vers le Vatican, et ainsi de suite.

Cette tenture du XVIIIe siècle est censée de représenter le Brésil. L’accoutrement de la négresse rappelle les ambassadeurs Kongo au moment où il y a un peintre hollandais qui effectuait des portraits de la population au Brésil. Mais, on voit très bien qu’il y a une propagande derrière.

Une photo exposée a été prise dans les réserves d’un musée à Kinshasa. On y voit des poteries mortuaires. Est-ce un travail sur la dépossession, sur l’exploitation ?

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Je ne pense pas que je parle de la dépossession en soi. Dans mes anciens travaux, j’ai aussi traité des questions dues à l’amnésie collective par rapport à une analyse critique de la situation, à la fois du passé colonial, du passé dictatorial, du présent des politiques ou de la politique congolaise. Je ne suis pas dans la victimisation liée à l’autre ou liée à l’Occident. Ce qui m’intéresse, c’est de produire de la pensée, produire des œuvres qui réfléchissent à la fois sur ce passé, sur ce que ces populations ont vécu et qui est aussi mon expérience, parce que j’ai quitté le Congo assez tard, et je continue à garder un lien.

Depuis 2008, je mène une biennale d’art contemporain, avec des amis, il y a un collectif. On forme de jeunes artistes. Je pense que cela est une clé de sortie, à la fois par rapport à cette question d’amnésie et aussi par rapport à cette question de la dépossession. Concernant certains objets ethnographiques ou des objets pillés, on peut parler de dépossession, mais les minerais qui sortent du Congo, sortent avec l’aval des politiques congolais. Donc, il y a aussi une part de responsabilité. Une des clés de sortie pour moi, c’est la question de l’éducation. Il faut informer, éduquer, préparer la jeunesse par rapport à toutes ces histoires qui ont été tenues en silence et qui ont été cachées.

Tenture des Nouvelles Indes, « La négresse portée dans un hamac » (1742-44), exposée aux Beaux-Arts de Paris.
Tenture des Nouvelles Indes, « La négresse portée dans un hamac » (1742-44), exposée aux Beaux-Arts de Paris. © Siegfried Forster / RFI

Avec votre interprétation de l’art cinétique, vous proposez une autre lecture de l’histoire de l’art. Vous détournez la lecture ethnographique et transformez les motifs des tissus anciens en œuvres d’art moderne. Comment cela est apprécié et perçu au Congo ? Y a-t-il des jeunes, des artistes, des professeurs, des politiques, le marché de l’art qui s’y intéressent ?

Tout à l’heure, je parlais de la Biennale de Lubumbashi. Depuis que nous avons commencé, en 2008, nous n’avons presque jamais reçu de financement venant de l’État. Il n’y a pas de programme culturel ou artistique d’accompagnement pour le secteur artistique ou culturel. Mais, il y a de l’intérêt. La population s’y intéresse. Elle s’y reconnait, s’y retrouve, elle apprend. Par exemple, ces tissus kongo, pour les voir, il faut venir en Europe. Mais combien de Congolais peuvent se permettre ça ? C’est impossible. Cette Biennale de Lubumbashi ou cette espèce d’échange artistique devient alors leur élément d’épanouissement, de questionnement, d’accès aux informations qu’ils ne peuvent pas avoir. Que ce soit au niveau de l’éducation ou de l’accompagnement artistique, l’État ne pourvoit pas ça.

► Sammy Baloji : K(C)ongo, fragments of interlaced dialogues, du 10 juin au 18 juillet 2021 aux Beaux-Arts de Paris.

kadi

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