Selon plusieurs indicateurs, l’économie humaine entre dans la phase d’épuisement des ressources minières et fossiles. On peut raisonnablement s’attendre à un effondrement de très grande ampleur, qui a été anticipé depuis les années 1970 au plus tard.
Comme les actes provocateurs de l’Occident envers la Russie et la Chine se multiplient récemment, nous pouvons imaginer une situation de « guerre totale » qui soit cohérente avec cette logique d’effondrement.
Une guerre immobile
Nous sommes encore dans la semaine commémorant les 80 ans de l’Opération Barbarossa. Quatre générations plus tard, il apparaît évident qu’une guerre contre la Russie ne saurait engager comme jadis 200 divisions, 3 500 000 hommes, 600 000 véhicules et 600 000 chevaux dont l’objectif serait de s’emparer des centres industriels et politiques.
Tout d’abord parce que nous n’avons plus ces ressources, ni industrielles ni humaines ni énergétiques, mais aussi parce que la nature de la guerre a changé en 1945. Si l’intégrité de la Russie est menacée, il y aura recours à l’arme nucléaire : les responsables russes l’ont rappelé cette semaine encore. C’est aussi pourquoi les Russes non plus ne feront plus boire leurs chevaux dans la Seine (c’est ce qu’on peut souhaiter de mieux à ces pauvres chevaux) comme à la fin des guerres napoléoniennes.
Les opérations militaires dans le Donbass depuis 2014 ont montré que l’on pourrait certes saigner des troupes et des populations à blanc dans les zones de combat, dans un affrontement de nature conventionnelle, mais que ça n’a aucune portée sur l’issue de la guerre.
S’il est question d’opérations militaires, il ne s’agirait que de quelques vecteurs conventionnels (avions, drones, missiles, éventuellement des navires) en faible nombre avec des objectifs bien précis. Nous ne pouvons pas dépenser plus, et la guerre en elle-même pourrait être de courte durée.
Comme cela fut expérimenté en mai 1944 (raffineries sous contrôle de l’Axe), puis en 1991 en Irak et en Serbie en 1999, ces objectifs viseraient avant tout l’infrastructure, par exemple : le pompage, l’épuration et la distribution d’eau, les centrales hydroélectriques (voire même les barrages en eux-mêmes), la génération d’électricité renouvelable. Les centrales à énergie fossile n’auraient pas d’intrants pour fonctionner, mais leurs générateurs et leurs turbines pourraient être reconvertis, ils représenteraient éventuellement un objectif secondaire.
On peut s’imaginer des attaques kinétiques (avec, donc de l’énergie cinétique, des explosifs etc.) mais aussi des cyberattaques ou d’autres modes de guerre pour l’instant inconnus du grand public et tenant de la science-fiction. L’AID (Agence de l’Innovation de Défense ) recrute des auteurs de science-fiction pour étudier ce genre de choses (Projet « Red Team »), imaginons par exemple des attaques sismiques, climatiques (à long terme), météorologiques (tornades ponctuelles), des rayons d’énergie, des microrobots saboteurs etc. etc.).
L’objectif stratégique serait alors d’affaiblir l’ennemi pour qu’à l’issue de l’effondrement il ne devienne pas le nouveau patron du continent ou de l’économie mondiale. Il faut mentionner ces possibilités militaires par rigueur logique mais elles sont finalement peu probables. Ici aussi le recours aux armes nucléaires impose de ne pas franchir de « ligne rouge » dont on ne saurait pas vraiment où elle se situerait : ce qui nous paraît être un objectif d’importance mineure n’est peut-être pas perçu comme tel par l’ennemi.
Si l’on ne peut pas vraiment vaincre l’ennemi, ce qu’il importe alors c’est de ne pas trop s’affaiblir, pour faire simple : il faut réussir son propre effondrement.
Le tri et la logique concentrationnaire-génocidaire
Puisqu’il s’agit en premier d’une guerre contre la Russie, on est tenté de faire un parallèle avec le IIIème Reich, ses alliés et ses vassaux de 1941 à 1945. Après tout, il s’agissait aussi d’une guerre avec des ressources très limitées, par exemple une pénurie importante d’hydrocarbures, le rationnement, la collecte ou la saisie des matériaux stratégiques etc.
Or tout ceci était pour mener le plus grand conflit technologique de l’histoire de l’humanité, dont il est toujours question dans nos jeux vidéos 80 ans après (War Thunder ou World of Tanks, par exemple, qui se portent très bien).
Nous avons vu qu’il ne s’agira désormais plus du même genre de conflit. Il y a toutefois un parallèle tout à fait pertinent à faire avec la Seconde Guerre mondiale, c’est celui de la « gestion » des populations « excédentaires » ou « inutiles », dont les nazis n’avaient pas le monopole (mais qu’ils avaient poussé jusque dans ses implications logiques les plus extrêmes).
Le système concentrationnaire et génocidaire est l’aboutissement de la logique de rationnement. Pour simplifier, il s’agit de maximiser la valeur d’usage (ou l’utilité) des ressources encore disponibles. Quand les ressources ne suffisent pas à nourrir, chauffer ou administrer tout le monde, on définit alors des catégories de la population qui sont sacrifiables.
Cette diminution de population peut prendre des formes différentes, là aussi définies en fonction des ressources disponibles. Les nazis tuaient par la chambre à gaz ceux qui n’étaient pas en mesure de travailler, mais tuaient par le travail les autres déportés, en veillant à ne les nourrir que partiellement pour encore utiliser les calories stockées dans la personne sous forme de gras et de muscle. Lorsqu’il n’était pas possible ou pas rentable de déplacer de telles populations, elles furent assassinées sur place (« Shoah par balle » et massacre local de populations des zones occupées, notamment en Biélorussie).
Il y avait des paliers intermédiaires. Certains déportés disposant de compétences utiles voire recherchées (médecins, ingénieurs, techniciens etc.) étaient nourris de manière suffisante pour pouvoir les utiliser aussi longtemps que possible. Entre la population rationnée et le système concentrationnaire, le status des travailleurs étrangers et des prisonniers de guerre était lui aussi intermédiaire,allant d’un extrême (prisonniers soviétiques affamés voire assassinés) à l’autre (prisonniers de guerre britanniques nourris selon les normes).
Tout ceci illustre le rôle primordial de la sélection et du tri dans cette logique du rationnement et du génocide.
Si l’on estime que les « bouches inutiles » représentaient entre 5% et 10% des populations sous contrôle nazi, qu’en serait-il aujourd’hui ?
Une estimation de la proportion des bouches inutiles
Une manière d’approcher le problème est de définir ce qui est utile ou souhaitable pendant la guerre, par exemple quels rôles seront dévolus à telle ou telle population, et ce qu’il l’est après la guerre & l’effondrement.
Nous ne pouvons pas connaître ces paramètres avec précision, mais nous pouvons élaborer des hypothèses sur le monde post-effondrement (ou disons post-ressources minières et fossiles) :
a- un monde statique, avec peu de déplacements de biens ou de personnes, par manque de combustible et d’intérêt économique.
b- le transport maritime (schooner à voile automatisé ?) réduit à des biens à haute densité de valeur ajoutée (comme les épices au Moyen-Âge) et non-périssables (fini les cargos de bananes vendues à 1€ le kilo).
c- une population beaucoup plus étalée sur le territoire, en fonction des ressources locales agricoles (agrocarburants réservés aux véhicules prioritaires, agriculture mécanisée à énergie animale) et énergétiques (notamment le bois de chauffage en hiver)(nota)
d- la fin des grandes villes et notamment des grandes concentrations urbaines (les cités, les banlieues pavillonnaires sur terrains arides) qui deviennent des néogisements (voir plus bas)
Tout ceci impliquerait un retour à des niveaux de population encore plus bas que ceux de l’Époque Moderne, ou pré-industrielle. En France, peut-être 22 millions de personnes, soit un tiers de la population actuelle. C’est un chiffre très optimiste.
Nous pouvons donc établir un ordre de grandeur, qui vaut ce qu’il vaut : au lieu d’avoir à supprimer 5% à 10% de la population, on se retrouve avec plus de 65% de population excédentaire (les « useless eaters » de Kissinger). On voit donc que l’ordre des priorités n’est plus le même que durant la Seconde Guerre mondiale, et c’est pourquoi il faut voir la guerre future non pas comme un phénomène dominant tous les autres mais plutôt comme un épiphénomène ou un accompagnement de l’effondrement en général.
(nota : aux États-Unis, ces caractéristiques se trouvent dans les États « rouges », nous l’évoquerons à nouveau plus loin)
De la difficulté d’établir les critères d’utilité de la population
Lorsque Klaus Schwab déclare que « l’on ne possèdera rien et que l’on sera heureux », il place lui-même le débat sur le terrain de l’utilité et du rationnement, comme d’ailleurs Laurent Alexandre (je suis sûr qu’il a joué dans l’As des As, le rôle de la sœur de Hitler, si si la ressemblance est là) qui parle de « durée de vie résiduelle » pour les personnes âgées.
Dès lors, il convient de se poser la question de qui est encore utile et qui ne l’est plus à l’aune de ces critères. Ces questions ne sont pas nouvelles, elles commencent avec les premières machines au XIVe siècle (suivant la Grande Peste), ce que certains historiens ont nommé les « esclaves mécaniques », et se poursuivent à chaque innovation.
En 2000, la dernière année du XXe siècle, il m’a été donné de voir la tour de la Dresdner Bank à Francfort-sur-le-Main, où un consultant m’a expliqué que deux étages entiers, soit 200 personnes environ, venaient d’être remplacés par un serveur informatique de la taille d’une commode.
L’automatisation du travail humain n’est pas une lubie conspirationniste, c’est l’évolution la plus importante de ces dernières décennies, à tel point que les médias parlent bien plus volontiers des extraterrestres aperçu par l’armée des États-Unis que de cette révolution technologique ultime.
Si des logiciels et une hardware de l’an 2000 sont en mesure de remplacer des experts-comptables, des banquiers, des techniciens et d’autres spécialistes situés disons entre Bac+2 et Bac+7, la question de l’utilité des populations se pose bien différemment que durant la Seconde Guerre mondiale.
Lorsque 65% de la population doit périr, le gouvernement devient en quelque sorte l’ennemi de la population actuelle qu’il est sensé administrer, il est en quelque sorte le gouvernement qui travaille pour la population du futur, celle qui survivra, plutôt que celle du moment présent.
Dans ces conditions, comment trier les personnes mais aussi les ressources encore existantes ? Peut-être ne le fera-t-on pas avec le soin extrême des nazis (impossibilité pratique), ou peut-être tirera-t-on parti de « l’automatisation du travail humain » pour le faire (c’est le message sous-jacent des films « Terminator »), ou bien l’on pourrait avoir recours à la guerre biologique (hypothèse un peu incongrue tout de même).
On pourrait aussi utiliser la population condamnée elle-même, comme il faut fait jadis avec des déportés « Kapos » pour faire régner l’ordre parmi les autres déportés, ou la police juive du ghetto de Varsovie, en entretenant l’espoir futile de pouvoir passer entre les gouttes…
Dans toutes ces possibilités, une approche qui me paraît raisonnable est d’appliquer les critères de la situation post-effondrement dans la guerre totale elle-même :
– critère c (population étalée) et critère a (monde statique) : la guerre-effondrement entraîne la paralysie du transport (pénurie d’énergie et de carburant, réquisition des trains etc.), ce qui impliquerait que la population survivante serait en grande partie déjà prépositionnée à proximité des espaces concernés. Aux États-Unis ce sont les États « rouges » (« Flyover America »), chez nous c’est la « France périphérique » avec ses provinces endormies en forte régression économique, le territoire des Gilets jaunes.
– critère d (la fin des grandes villes et grandes concentrations urbaines) : la population qui disparaîtrait serait ainsi surtout celle des villes. Or, en France, trois-quarts de la population est urbaine, comme en Russie d’ailleurs : cela correspond à l’ordre de grandeur recherché.
Bien que l’on ne sache pas vraiment ce qui va se passer, nous avons ici une hypothèse intéressante, que nous allons développer plus avant.
La question des ressources et les néogisements
Le concept de « néogisement » que j’ai posé l’année dernière est un mot affreux que j’utilise faute de mieux (si quelqu’un connaît un terme établi qu’il le fasse savoir dans les commentaires). Il s’agit des objets et matériaux disponibles physiquement sur un territoire, qui représentent donc des équivalents de gisements miniers, à la différence qu’ils sont déjà extraits, raffinés, transformés et transportés. Ils incorporent donc une partie de l’énergie fossile qui a servi à toutes ces opérations, énergie aujourd’hui sur le point de disparaître.
Les collectes de matériaux stratégiques lors de la Première Guerre mondiale parmi la population sont ainsi une forme d’exploitation de néogisements.
- lire à ce sujet : amazon.fr/Grande-Debrouille-Laparra-Jean-Claude
Comme nous en sommes à la fin des ressources minières, tout ce qu’il était possible d’extraire du sous-sol de manière rentable se trouve désormais à la surface et concentré dans les pays riches. Voilà les ressources avec lesquels l’humanité devra continuer désormais, si par exemple on voudrait un jour étendre la vie au-delà de notre planète. Ceci représente une richesse considérable, équivalente par exemple à de champs pétrolifères.
Un effondrement mal mené, et bien sûr l’usage d’armes atomiques ou d’autres « ouragans de feu » (incendie simultané de toute une ville, comme à Hambourg ou à Tokyo durant la Seconde Guerre mondiale) n’aboutirait qu’à gâcher une partie de cet héritage considérable. En comparaison, l’explosion de Beyrouth était beaucoup plus respectueuse des néogisements.
Inversement, un effondrement bien accompagné, comme on peut l’imaginer dans le cadre d’une guerre totale, permettrait de sauvegarder une utilité maximale. Dès lors, on peut voir que dans notre hypothèse il faudrait que les populations urbaines périssent d’une manière préservant autant que possible les néogisements.
Interlude – la guerre hybride-assymétrique et les fanascismes
« C’est un concept à moi, ça dénonce à la fois les fascistes et les fanatiques » ~ Georges Abitbol, « La classe américaine », 1993.
À ce stade de la réflexion, nous pouvons visualiser deux concepts d’effondrement urbain : d’un côté la Zone Autonome fanasciste (voir plus bas) type CHAZ de Portland, de l’autre côté la cité-zone-de-non-droit devenant une forteresse jihadiste, Idlib-sur-Seine.
Ce sont deux scénarios qui ne sont viables que « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire avec des approvisionnements réguliers et l’inaction voire l’encouragement du pouvoir.
Ce que je désigne ici par « guerre hybride-assymétrique » est la représentation que l’on se fait de combattants fanatisés armés de kalashnikovs et de lance-roquettes, juchés sur des « technicals » type Toyota Hilux et établissant ici ou là des califats tyranniques.
Or ces troupes très pittoresques dépendent d’un train logistique considérable. Les munitions que l’analphabète shooté au Captagon gâche en tirant à bras levés au-dessus de sa tête sont chères, très lourdes et relativement délicates à transporter, comme le carburant du technical d’ailleurs. Il y a derrière la guerre en Syrie une logistique impeccable, utilisant parfois des avions-cargos, le tout sans doute financé par le S.P.E.C.T.R.E.
Il s’agit somme toute d’une variante actualisée des troupes coloniales de naguère, dirigées comme elles par des officiers tout ce qu’il y a de plus non-hybride, utilisant le renseignement de pointe, les satellites, les communications sécurisées, des missiles antichar de pointe et autres batteries anti-aériennes.
Rien de tout cela dans « nos » zones de non-droit, où les Kalashs sont des outils de travail dans l’économie tout aussi pittoresque des stupéfiants (200 000 emplois en France).
Employons maintenant le concept du regretté Georges Abitbol pour désigner comme « fanascisme » l’ensemble formé par les mouvements radicalisés qui desservent les causes dont ils se prétendent : les fondamentalistes qui desservent Dieu, les LGBT qui desservent l’homosexualité, les Khmers verts qui desservent l’écologie, les BLM qui desservent la cause des noirs, les féministes qui desservent la cause des femmes, les Social Justice Warriors qui desservent la lutte contre les disciminations, les ZADistes qui desservent les intérêts locaux, et tant d’autres encore.
Au fond de tout cela, il y a des gens violents, souvent pas très nets mentalement (voir l’excellente comédie politique « Problemos » de 2017), souvent pas très intelligents ni capables, qui tirent prétexte d’une cause pour exercer de la violence verbale ou physique et terroriser la population.
Et ils sont en un sens fascistes, car dès qu’ils en reçoivent la possibilité, ils essaient de changer notre langue (l’écriture inclusive), de réecrire notre histoire, de scinder la popualtion en groupes ethniques (bientôt les parcs « interdits aux chiens et aux blancs » ?).
Ces fanascistes sont incapables d’organiser ne serait-ce qu’une soirée-crêpes, c’est pourquoi ils reçoivent une aide organisationnelle considérable mais surtout ils obtiennent l’appui du gouvernement et en tirent donc une forme de légitimité.
Lorsque l’Allemagne nazie et l’URSS stalinienne se préparaient à la guerre, elles anticipaient un grand besoin en hommes, du point de vue quantitatif (politique nataliste, réduction de la mortalité) et qualitatif (alphabétisation, scolarisation, subventions d’aéroclubs et de clubs de radio-amateur).
Depuis au plus tard la fin des années 60, les pays riches anticipent une grande réduction en population, du point de vue quantitatif (réduction de la natalité par l’hyper-sexualisation, la pilule, le divorce et plus généralement la destruction de la famille nucléaire) et qualitatif (l’illettrisme, merci la Méthode Globale et les réformes successives de l’Éducation Nationale, la perte de capacité de raisonnement, merci à la télé puis à Facebook, et j’en passe).
Il faut donc voir ces fanascismes comme quelque chose de préalable à l’effondrement, une sorte de décadence organisée par le pouvoir, qui exerce ainsi une action de dissolution du corps politique et social, dont la finalité est de faciliter l’effondrement, notamment des zones bleues-urbaines.
Mais dès lors que la guerre-effondrement commence, les fanascistes ne sont plus d’aucune utilité et ne sont capables de rien. Tout au plus, dans l’hypothèse d’un effondrement long, pourraient-ils servir de kapos – ce qui est leur nature profonde – lorsqu’il s’agira de mener des esclaves/déportés (provenant peut-être même des causes qu’ils ont tant desservis) au bâton pour démanteler les réacteurs nucléaires, désamianter des bâtiments ou dépolluer des sites Seveso.
Le non-exode urbain
Une des surprises de la bataille de France en 1940 était l’Exode, le départ simultané des citadins, engorgeant soudainement les routes si précieuses pour acheminer troupes et approvisionnements vers le front.
Aujourd’hui l’exode est un exercice dans lequel nous devenons meilleur à chaque confinement. C’est une sorte de sélection sociale muette, car pour partir ainsi il faut avoir un endroit où aller, et donc les familles disposant d’une résidence secondaire ou de parents à la campagne sont privilégiés par rapport au gars de la cité qui reste dans la cité.
La tendance de fond est au départ des villes, facilité par le télétravail, nous avons eu plus d’un an pour nous préparer à cette transition. Nous avons aussi eu plus d’un an pour nous préparer au rationnement, il sera aisé de nous rappeler le ridicule des achats compulsifs de papier-toilette (le produit qui est le plus ridicule socialement, à l’inverse des boîtes de sardines, de l’huile d’olive ou du savon dont on n’a jamais parlé) en 2020.
Si l’effondrement est déclenché par une guerre, on peut s’imaginer que plusieurs choses se produisent instantanément ou presque :
– l’argent ne vaudra plus rien, sinon comme solution transitioire vers la carte de rationnement digitale, solution déjà parfaitement au point et déployable immédiatement (la « EBT Card » aux États-Unis). Ceux qui ont encore des économies ou des placements boursiers savent depuis des années que la monnaie et la valorisation boursière n’existent plus que comme convention, à ce stade avancé nous faisons juste semblant par politesse.
– le carburant sera rationné, tout comme la consommation énergétique, et les contrevenants immédiatement identifiables (merci Linky !)
– un rationnement des vivres et des produits courants, avec contrôle des prix et peut-être l’assignation des familles à un centre de distribution unique : si vous ne pouvez pas faire vos courses à votre point de chute loin de la ville, cela rend l’exode plus compliqué.
– le gouvernement pourra saisir un certain nombre de biens, notamment des automobiles et des véhicules spécialisés (ambulances, engins de chantier), ainsi que des bâtiments, notamment les appartements vides. De manière similaire, des entreprises pourront être nationalisées ou réquisitionnées, par exemple pour exploiter leur parc informatique ou leur flotte de véhicules.
– éventuellement, dans une véritable démarche de transition économique (lors d’un effondrement long), on peut imaginer la réquisition des chevaux (essentiellement de loisir) et des installations correspondantes pour entamer une transition vers l’agriculture hippomobile, le retour aux années 30 (ou à la Roumanie pré-adhésion à l’UE).
– la surveillance de la population deviendra officielle, sur la base du smartphone, des radars routiers à lecture de plaque d’immatriculation, des caméras de surveillance que l’on couplera relativement facilement à des logiciels de reconnaissance faciale et des bases de données.
– ceci permettra de contrôler les déplacements, notamment dans une perspective d’économie de carburant et de fluidification du transport, et aussi d’assigner un certain nombre de personnes gênantes à domicile (c’est moins cher que de les mettre dans des camps, et puis ils seront moins inquiets, moins turbulents et moins charismatiques aussi).
– en parallèle, le contrôle automatisé de l’activité sur Internet sera rapidement mis en place. Les fiches pratiques pour mettre son jardin en culture et les sites pornos resteront d’un accès facile.
Ceci a pour fonction de fixer les gens sur place, de limiter fortement les possibilités matérielles pour fuir la ville, et surtout de donner à la population l’impression d’une forte prévisibilité.
Conclusion : holocauste bleu ou simplement le chaos ?
Et voilà où mène ce très long texte : à trois petits points. Les détails de la disparition de la population des zones « bleues » (au sens étatsunien) sont impossible à anticiper, notamment parce que l’on ignore certainement de nouvelles possibilités techniques déterminantes. Comme le disait le philosophe Mike Tyson : « Everybody has a plan until they get punched in the mouth ».
Dans son livre de 1966 « Treblinka », Jean-François Steiner décrit les méthodes méticuleuses que mettent en place au Ghetto de Varsovie les « techniciens » de l’extermination. Bien que l’on puisse imaginer cela, dans la perspective d’une guerre prolongée et donc d’un effondrement long, je pense pas qu’il s’agira de cela, d’une part parce qu’il est question de la disparition d’au moins les deux-tiers de la population, dont beaucoup des cadres nécessaires pour mettre ce genre de programme en place (et encore faudrait-il qu’ils soient compétents !), et d’autre part parce qu’il s’agit avant tout d’en effondrement, forcément de nature chaotique, dont la guerre ne serait que le prétexte ou le détonateur.
Une guerre offre une forme de certitude, une fenêtre d’opportunité pendant laquelle l’énergie des villes est interrompue (et, partant, l’eau, le chauffage, les communications), par l’action de l’ennemi ou une action auquel on lui attribuerait la responsabilité, une sorte d’attaque sous faux drapeau donc.
Une survie des campagnes, de « red states » en tant qu’espaces politiquement stables et préservant un tiers ou un quart de la population est un scénario idéal, sans doute trop optimiste. Il se peut que le résultat soit bien plus grave.
Ou alors, si ça se trouve, tout va bien se passer.