l'infos du monde de dernières minutes 7j/7

l'infos du monde de dernières minutes 7j/7

(Reseauinternational)Cuba et la question des droits de l’homme : De la représentation médiatique à la réalité factuelle

 (Reseauinternational)Cuba et la question des droits de l’homme : De la représentation médiatique à la réalité factuelle

Une analyse comparative de quatre pays selon les rapports d’Amnesty International : Cuba, États-Unis, France et Espagne.

par Salim Lamrani.

Introduction

Depuis 1959 et l’avènement de la Révolution cubaine, et en particulier depuis 1991 et la chute de l’Union soviétique, Cuba est invariablement associée à la question des droits de l’homme. En effet, suite à l’effondrement du bloc de l’Est, les États-Unis ont ajusté leur rhétorique diplomatique pour justifier le maintien des sanctions économiques contre l’île de la Caraïbe. Le Président Eisenhower avait d’abord avancé l’argument des nationalisations et des expropriations lorsqu’il a imposé les premières mesures de rétorsion économique en19601. Par la suite, lorsque son successeur, John F. Kennedy, a décrété des sanctions totales en 1962, il a justifié cette mesure en raison de l’alliance entre La Havane et Moscou2. Les administrations postérieures ont maintenu cette politique d’hostilité en adaptant leur communication aux circonstances de l’époque. Ainsi, le Président Gerald Ford a évoqué le soutien apporté par Fidel Castro aux mouvements révolutionnaires et indépendantistes à travers le Tiers-monde pour expliquer le statu quo vis-à-vis de l’île3. Le Président Ronald Reagan a même placé Cuba sur la liste des pays soutenant le terrorisme en 1982 pour consolider l’état de siège imposé à la population cubaine4. Mais depuis 1992 et l’adoption de la loi Torricelli, les États-Unis évoquent exclusivement la question de la démocratie et des droits de l’homme pour maintenir les mesures coercitives contre Cuba5.

Il existe un consensus largement répandu au sein de l’opinion publique, notamment en Occident, pour associer Cuba aux violations des droits de l’homme. À l’évidence, il ne s’agit pas de nier les éventuelles atteintes aux droits fondamentaux qui peuvent survenir au sein de la société cubaine. Les organisations internationales et la presse en font régulièrement état dans des rapports et articles. En revanche, il convient de se questionner sur le fait de savoir s’il y a une corrélation entre le nombre et la gravité des manquements relevés par les institutions internationales et leur exposition médiatique ainsi que la place qu’occupe l’île sur ce sujet dans l’imaginaire collectif. En d’autres termes, y a-t-il davantage de violations des droits de l’homme à Cuba que dans le reste du monde ?

Pour répondre à cette interrogation, ce travail se propose de réaliser une étude comparative, basée sur le dernier rapport annuel d’Amnesty International, entre quatre pays : Cuba, les États-Unis, la France et l’Espagne. Après un constat sur l’opinion générale au sujet des droits de l’homme à Cuba, ce regard croisé permettra de découvrir s’il existe une spécificité cubaine tangible en matière de droits de l’homme ou si la représentation de cette problématique est motivée par d’autres considérations qui primeraient sur la réalité factuelle.

1. Constat sur l’opinion générale

Selon le Département d’État des États-Unis, Cuba est un « État autoritaire » responsable de « violations de droits de l’homme significatives » : abus contre les dissidents politiques, arrestations arbitraires et détentions, prisonniers politiques, censure, restriction du droit de réunion et de mouvements, trafic d’êtres humains, travail forcé et même « restrictions sévères de la liberté religieuse6 ».

La presse étasunienne partage un regard similaire sur la question des droits de l’homme à Cuba. Le New York Times évoque pour sa part le « sombre bilan du gouvernement [cubain] sur les droits de l’homme7 ». Pour le Washington Post, « les droits humains élémentaires » ne sont pas respectés à Cuba8. Selon le Los Angeles Times, « les violations des droits de l’homme et les politiques antidémocratiques » caractérisent l’île de Cuba9. De son côté, le Boston Globe a critiqué le voyage historique de Barack Obama à Cuba en 2016 en publiant un article intitulé « Les droits de l’homme sont bafoués à Cuba, mais Obama est impatient d’y effectuer une visite10 ». Pour USA Today, « les violations des droits de l’homme » sont courantes dans l’île11. D’après le Wall Street Journal, « les violations flagrantes des droits de l’homme » sont une réalité à Cuba12Newsday souligne que « les accusations de violations des droits de l’homme ont poursuivi le gouvernement cubain dès le départ avec les jugements et exécutions sommaires après la Révolution de 195913 ». Pour le Chicago Tribune, « le bilan de Cuba sur les droits de l’homme est effarant depuis des décennies14».

Il en va généralement de même pour la presse européenne. En France, Le Monde évoque dans un éditorial l’« impitoyable répression intérieure » et un pays où « les libertés publiques sont anéanties15 ». Le Figaro parle pour sa part de « répression féroce contre toute opposition16 ». Libération souligne de son côté que l’opposition « est interdite et réprimée » dans l’île17. Le Journal du Dimanche souligne que Cuba est une nation « où la violation des droits de l’homme est une constante18». Au Royaume-Uni, l’image offerte par The Telegraph est celle d’un pays qui « met derrière les barreaux des milliers de prisonniers politiques19 ». En Espagne, El Mundo titre « À Cuba, les droits de l’homme sont quotidiennement bafoués » et évoque « la répression du régime20». El País fait allusion à « la persécution contre des artistes et des intellectuels » et au « harcèlement contre les voix dissidentes21 ».

De la même manière, mais plus rarement, certains travaux universitaires véhiculent une perspective similaire sur Cuba. Ainsi, un article publié dans la revue Nuevo Mundo/Mundos Nuevos souligne « la répression impitoyable frappant les “déviants” politiques » et parle même de « la société totalitaire cubaine22». De manière plus inattendue, la recension d’un ouvrage portant sur les relations entre Cuba et les États-Unis rédigée par une universitaire française conclut par ce propos : « Rien n’est dit sur ce que Cuba devrait faire en termes de droits de l’homme, par exemple23 ».

Il est temps à présent de jeter un œil sur les différents rapports d’Amnesty International et de voir si l’opinion générale est en adéquation avec la réalité. Il convient de préciser que l’organisation internationale ne peut pas être taxée de laxisme à l’égard des autorités cubaines. En effet, celles-ci, mécontentes des rapports de AI qu’elles considèrent comme étant partiaux et biaisés à l’égard de l’île, ont décidé de ne plus accepter de visite de l’entité basée à Londres depuis 1988.

2. La situation des droits de l’homme à Cuba

Le rapport d’Amnesty International recense plusieurs atteintes aux droits de l’homme à Cuba. Selon l’organisation, l’île emploie des « mécanismes de contrôle imposés de longue date pour réduire au silence les voix critiques ». AI les énumère : arrestations arbitraires, emprisonnement de journalistes et d’artistes indépendants, ainsi que de membres de l’opposition politique. AI dénombre « six prisonniers d’opinion » dans le pays, chiffre qui est passé à « cinq personnes ». Seuls deux sont nommément désignés : Roberto Quiñones Haces « journaliste pour le journal indépendant Cubanet », condamné à un an de prison pour résistance et désobéissance, et José Daniel Ferrer García24.

De la même manière, au niveau juridique, AI souligne que Cuba « n’a pas ratifié les principaux traités internationaux relatifs aux droits humains et a refusé de renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire ou d’adapter le droit pénal cubain afin de le rendre conforme au droit international relatif aux droits humains », sans fournir davantage de précisions

L’organisation note également que lors de l’adoption de la nouvelle constitution en 2019, un texte initial reconnaissant les unions entre les personnes du même sexe « a été retiré […] suite à l’opposition de représentants religieux ». Elle avance par ailleurs que la traditionnelle marche annuelle contre l’homophobie a vu son édition 2019 annulée et que le gouvernement a procédé à l’arrestation de militants qui avaient participé à une marche alternative « selon les médias ». Par cette mention, AI prend la précaution de déléguer la responsabilité de l’information à la presse

AI déclare que les autorités cubaines utilisent « divers mécanismes de contrôle pour réprimer les voix critiques et dissidentes » et les détaille. Ainsi, le gouvernement a « bloqué plusieurs sites Internet de médias indépendants » et a « commencé à utiliser des techniques de censure en ligne plus élaborées ». AI souligne également que le gouvernement cubain utilise « de faux comptes » et des « bots » pour contrôler les débats en ligne » sur Twitter. AI précise que « les médias indépendants continuaient de fonctionner » dans l’île, mais souligne que le « harcèlement » et la « détention arbitraire » sont utilisés contre certains journalistes et « artistes indépendants ».

Enfin, AI signale que « le contexte du nouveau renforcement de l’embargo économique des États-Unis imposé par l’administration Trump » a accentué les difficultés à Cuba, entraînant « une pénurie de denrées alimentaires, de médicaments et de pétrole ». Selon l’organisation, « le gouvernement des États-Unis a poursuivi son retour à la rhétorique de la guerre froide et a renforcé l’embargo en vigueur depuis des décennies qui porte atteinte aux droits économiques et sociaux à Cuba ».

Voyons maintenant quel regard porte AI sur la situation des droits de l’homme aux États-Unis.

3. La situation des droits de l’homme aux États-Unis

Amnesty International fait part de diverses violations des droits humains aux États-Unis dans son dernier rapport. Selon l’organisation, « le gouvernement des États-Unis s’est largement désengagé du système international de protection des droits humains » et n’a pas répondu « aux nombreuses communications d’experts de l’ONU ni accepté leurs demandes d’invitation en vue d’effectuer une visite officielle ». Dans un courrier adressé à AI, Washington a précisé qu’il « participait désormais aux procédures de l’ONU relatives aux droits humains uniquement lorsqu’elles servaient les objectifs de la politique étrangère des États-Unis, écartant ainsi toute coopération avec ces mécanismes lorsqu’ils veulent examiner la situation des droits humains dans le pays ». AI précise par ailleurs que la Maison-Blanche a mis en place une « Commission dans l’objectif déclaré de restreindre le soutien des États-Unis aux droits humains reconnus internationalement », à savoir « des garanties qui protègent les femmes, les personnes LGBTI et d’autres personnes contre la discrimination25».

L’organisation note que Washington a annulé le visa de la procureure de la Cour pénale internationale, « qui enquêtait sur de possibles crimes de guerre commis par les forces américaines et leurs alliés en Afghanistan ». AI souligne que le secrétaire d’État et le conseiller à la sécurité nationale ont « brandi des menaces d’annulation de visas, de saisie des avoirs ou de poursuites pénales contre des responsables de la CPI en cas d’enquête sur les crimes de guerre qu’auraient pu commettre les États-Unis ».

AI signale que les États-Unis ont adopté des « politiques hostiles aux personnes originaires de pays à population majoritairement musulmane et de pays de l’Amérique centrale », en allusion au « décret anti-immigration » de l’administration Trump. Les autorités ont renvoyé « de force de façon illégale des dizaines de milliers de personnes en quête d’asile », leur causant ainsi « un tort irréparable ». L’organisation note également que les États-Unis « ont séparé de force des milliers de familles en quête d’asile, leur infligeant délibérément des souffrances extrêmes ». Pour AI, dans certains cas, les traitements subis étaient « constitutifs d’actes de torture ».

Ainsi, les autorités ont placé arbitrairement des demandeurs et des demandeuses d’asile en détention pour une durée indéterminée, afin de les dissuader de déposer une demande de protection ou de les contraindre à renoncer à leur demande, ce qui constituait une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Les enfants, les femmes, les personnes âgées, les personnes LGBTI et les personnes porteuses de handicaps ou ayant un problème de santé grave étaient particulièrement susceptibles de pâtir du calvaire que représentaient la détention arbitraire et l’enfermement dans des locaux inadaptés. Les demandeurs et demandeuses d’asile étaient maintenus en détention parfois pendant plusieurs années sans aucune chance de libération conditionnelle – les services américains chargés de l’immigration opposant un refus systématique à toutes les demandes en ce sens.

L’organisation signale que ces traitements ont également concerné les enfants, lesquels « ont été maintenus en détention pendant une durée prolongée et indéterminée » bien au-delà des 10 jours autorisés par la législation des États-Unis.

Selon AI, aux États-Unis, le gouvernement fédéral et les gouvernements de certains États « ont multiplié les initiatives visant à restreindre les droits sexuels et reproductifs » en cherchant « à réprimer pénalement l’avortement et à contrôler par la loi le comportement des femmes pendant la grossesse, et en limitant l’accès aux services de santé reproductive ». L’organisation en souligne les conséquences : un accroissement du taux de mortalité maternelle « déjà élevé dans le pays ».

Les violences faites aux femmes et aux filles sont également pointées du doigt. AI souligne que « les femmes autochtones continuaient d’être victimes de manière disproportionnée de viols et de violences sexuelles ». L’organisation recense plus de 500 cas de femmes et de filles autochtones « tuées ou ayant disparu » dans 71 villes des États-Unis. Elle note que « ce chiffre est bien inférieur à la réalité, car les données des forces de l’ordre et des médias sur cette question sont loin d’être complètes ».

AI souligne par ailleurs que les droits des personnes issues de la diversité sexuelle sont bafoués de manière récurrente. « Selon les chiffres officiels, le nombre de crimes de haine fondés sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre a légèrement augmenté pour la quatrième année consécutive ». L’organisation précise que les femmes transgenres de couleur sont les principales cibles des crimes violents motivés par la haine. Dans de nombreux États, les dispositions législatives prévoyant des sanctions plus lourdes pour les crimes de haine ne prennent pas en compte l’orientation sexuelle et l’identité de genre parmi les motifs. En outre, alors que l’arsenal législatif reste faible pour protéger contre la discrimination à l’embauche liée à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, « le gouvernement fédéral a cherché, au moyen de diverses mesures et d’actions judicaires, à supprimer les protections contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans l’éducation, l’armée, l’emploi et les autres domaines relevant de son autorité ».

AI dénonce également la répression menée contre des personnes en raison de leurs idées politiques :

À coup de menaces, d’actes de harcèlement et d’enquêtes pénales, le gouvernement des États-Unis a mené, pour des raisons politiques, une campagne illégale d’intimidation contre des dizaines de personnes qui défendaient les droits des personnes migrantes, réfugiées ou demandeuses d’asile à la frontière américano-mexicaine, bafouant leur droit de ne pas subir de discrimination en raison de leurs opinions, politiques ou autres. Le Département de la sécurité intérieure et le ministère de la Justice ont recouru de façon abusive au système judiciaire pour sanctionner les hommes et les femmes qui rassemblaient des informations sur les violations systématiques des droits humains des personnes demandeuses d’asile ou réfugiées ou protestaient contre ces actes, ou pour les dissuader d’agir.

AI signale des atteintes à la liberté d’expression aux États-Unis en provenance du plus haut sommet de l’État, notamment contre les lanceurs d’alerte. L’organisation évoque le cas de Julian Assange, incarcéré en Angleterre, et dont Washington exige l’extradition. Elle souligne que « les accusations pesant sur Julian Assange sont liées à des activités tout à fait classiques pour les journalistes d’investigation et risquent d’avoir un effet paralysant sur le droit à la liberté d’expression ».

AI dénonce en outre les emprisonnements arbitraires « et pour une durée indéterminée » de 40 personnes sur le centre de détention de la base navale de Guantanamo, « en violation du droit international ». Elle précise qu’« aucun des 40 hommes encore détenus n’avait accès aux soins médicaux nécessaires ; ceux qui avaient été torturés par des agents américains ne bénéficiaient pas de services de réadaptation appropriés ». Par ailleurs, plusieurs détenus ont été jugés devant une commission militaire. « Or, il est contraire aux normes internationales et au droit international de faire juger des civils par des tribunaux militaires », rappelle AI.

L’organisation internationale signale également les crimes commis par les États-Unis à travers le monde « au nom de leur doctrine infondée de “guerre mondiale” ». Washington a eu « recours à plusieurs reprises à la force meurtrière dans divers pays du monde […], en violation de [ses] obligations au regard du droit international relatif aux droits humains ». AI évoque « des actes constitutifs pour certains de crimes de guerre » et mentionne la commission d’« homicides illégaux » – expression inattendue – contre la population civile, soulignant avoir exposé dans un rapport « des preuves irréfutables de ces homicides ».

AI évoque « des disparitions forcées et des actes de torture » commis « dans le cadre d’un programme de détention secrète géré par l’Agence centrale du renseignement (CIA), qui a donné lieu à des violations systématiques des droits humains ». L’organisation regrette qu’aucun des responsables présumés n’ait été traduit en justice « pour répondre de ces crimes ».

Par ailleurs, AI pointe du doigt la violence par armes à feu et souligne que « le gouvernement ne protégeait toujours pas les personnes […], les privant de ce fait de leurs droits humains, et notamment des droits à la vie et à la sécurité ». Les États-Unis présentent les chiffres de détention d’armes à feu les plus élevés au monde, tant en données absolues qu’en proportion par rapport au nombre d’habitants. Ainsi, en un an, près de 40 000 personnes ont été tuées par arme à feu et 134 000 autres ont survécu à leurs blessures. L’organisation souligne par ailleurs que « les homicides par arme à feu continuaient de toucher de manière disproportionnée les populations de couleur, en particulier les jeunes Noirs de sexe masculin ». Ainsi, les Afro-Américains constituent 13 % de la population totale, mais représentent 58,5 % de l’ensemble des victimes d’homicides par arme à feu. AI précise qu’il s’agit là de « la première cause de mortalité chez les hommes noirs âgés de 15 à 34 ans ».

Les violences policières sont responsables de la mort de près d’un millier de personnes par an, souligne AI, qui ajoute que les Afro-Américains sont touchés « de manière disproportionnée par le recours à la force meurtrière par les policiers ». Ils représentent 23 % des personnes tuées, alors qu’ils ne constituent que 13 % de la population du pays.

Par ailleurs, la peine de mort est toujours appliquée aux États-Unis. AI précise que « des études démontrent que la couleur de la peau, en particulier de la victime d’un meurtre, joue un rôle dans les condamnations à la peine capitale ». En outre, dans de nombreux cas, des détenus ont été exécutés alors qu’il existait des doutes sérieux sur la procédure ayant mené à leur condamnation. L’organisation ajoute que la peine de mort continue « d’être infligée à des personnes porteuses de handicaps mental ou intellectuel, en violation du droit international ».

Il est temps d’analyser à présent la situation des droits de l’homme en France.

4. La situation des droits de l’homme en France

Selon Amnesty International, de nombreuses atteintes à la liberté de réunion ont eu lieu en France, notamment dans le cadre des manifestations des Gilets jaunes. AI souligne que « les forces de l’ordre ont très souvent fait un usage arbitraire ou disproportionné de la force, en particulier, mais pas seulement, dans le cadre de manifestations ». L’organisation mentionne l’utilisation d’« armes dangereuses et imprécises », telles que des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes de type GLI-F4. Au moins 25 personnes ont perdu un œil et cinq ont eu une main arrachée. AI rapporte que deux personnes Steve Maia Caniço, âgé de 24 ans, et Zineb Redouane, une femme âgée de 80 ans, « ont tout deux perdu la vie lors d’opérations de maintien de l’ordre ». Elle regrette également l’impunité dont bénéficient les responsables de violences policières :

L’Inspection générale de la Police nationale (IGPN), unité de la police chargée d’enquêter sur les allégations de recours excessif à la force par des policiers, avait ouvert 313 enquêtes judiciaires depuis le début du mouvement social. À la fin de l’année, un policier seulement avait été déclaré coupable d’usage illégal de la force lors de ces manifestations26

Amnesty International souligne que 11 000 manifestants ont été placés en garde à vue et que plus de 3 000 ont été condamnés, « la plupart du temps à l’issue de procédures expéditives ». L’organisation ajoute que « plusieurs centaines de manifestant.e.s ont été arrêtés et poursuivis en justice pour des faits pourtant protégés par le droit relatif aux droits humains ».

AI ajoute que la répression policière ne s’est pas limitée aux manifestants : « Plusieurs centaines de journalistes ont signalé avoir été blessés alors qu’ils couvraient des manifestations […] Dans la plupart des cas, les blessures résultaient de l’utilisation arbitraire ou excessive de la force par la police ».

L’organisation internationale dénonce par ailleurs la vente d’armes par la France à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis alors qu’il « existe un risque majeur qu’elles puissent être utilisées pour commettre des atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains », en référence à la guerre au Yémen. AI signale ainsi que la France ne respecte pas le Traité sur le commerce des armes, qu’elle a pourtant ratifié. La France a été en 2019, le troisième plus gros exportateur d’armes au monde, et « le gouvernement français a manqué à son obligation de fournir des informations détaillées, exhaustives et à jour sur les transferts d’armes ».

AI pointe également du doigt la répression politique contre « des militant.e.s écologistes et des défenseur.e.s des droits de personnes réfugiées et migrantes ». Ces derniers ont été la cible « de mesures de harcèlement et d’intimidation ou de poursuites judiciaires ». L’organisation note que « ces poursuites étaient symptomatiques de la criminalisation des actes de solidarité constatée au niveau européen ». Elle signale également le renvoi de migrants dans des pays où ils « risquaient de subir des atteintes à leurs droits fondamentaux ».

AI dénonce enfin la loi adoptée par le Sénat qui interdit aux parents de porter des symboles religieux lors des sorties scolaires. Elle souligne que ce texte viole « les droits à la liberté d’expression et à la liberté de religion et de conviction » et instaure « à l’égard des personnes musulmanes une discrimination fondée sur la religion et la conviction ».

Il convient à présent d’analyser le regard que porte AI sur la situation des droits de l’homme en Espagne.

5. La situation des droits de l’homme en Espagne

Dans son rapport sur l’Espagne, Amnesty International évoque le cas des 12 dirigeants catalans jugés et condamnés pour sept d’entre eux à des peines allant de neuf à 13 ans de prison pour avoir organisé en 2017 un référendum sur l’indépendance de la Catalogne. La position de l’organisation internationale est peu claire sur le sujet. D’un côté, AI souligne que « rien n’indique que le droit à un procès équitable de ces 12 dirigeants catalans ait été violé ». De l’autre, elle considère que « le crime de sédition est défini en termes vagues par la loi et qu’il a été interprété par les juges de façon large et d’une façon qui restreint de manière disproportionnée l’exercice des droits humains ». AI souligne également que les condamnations pour sédition « ont représenté une restriction excessive et disproportionnée de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique ». Pour ces raisons, AI demande « l’annulation de leur condamnation et leur libération immédiate ». Mais elle ne les qualifie pas pour autant de prisonniers politiques27.

AI signale également les violences policières commises en Espagne, notamment lors des manifestations. Elle souligne que quatre personnes ont perdu l’usage d’un œil après avoir été touchées par des balles en caoutchouc tirées par la police. L’organisation dénonce l’impunité pour les responsables de violence et note qu’« aucune des enquêtes ouvertes sur des cas présumés de recours excessif à la force de part de la police […] n’avait donné lieu à des poursuites judiciaires ».

AI dénonce les atteintes à la liberté d’expression et de réunion et souligne que les autorités ont infligé des sanctions administratives et de fortes amendes à des personnes ayant défendu les droits humains, y compris « à des journalistes, restreignant illégalement, dans certains cas, leurs droits », ainsi que l’accès aux informations.

L’organisation évoque par ailleurs des cas de « torture et autres mauvais traitements » en Espagne, notamment au Pays basque. AI souligne que le Comité des droits de l’homme des Nations unies « a demandé à l’Espagne de mettre fin à la pratique de la détention au secret au motif qu’elle facilite le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements ».

Les violences faites aux femmes et aux filles sont également mentionnées dans le rapport d’AI qui souligne que « les victimes de violences sexuelles se heurtaient à des obstacles quand elles tentaient d’obtenir justice, et étaient en butte à l’absence de mesures de protection, d’aide et de soutien adéquates ».

AI précise enfin dans son rapport que les droits en matière de logement sont violés en Espagne et souligne que plus de 40 000 personnes aux ressources limitées, ne pouvant rembourser leur emprunt ou payer leur loyer, ont été expulsées de leur lieu de résidence.

L’organisation ajoute également que les mesures d’austérité prises par le gouvernement affectent le droit à la santé des Espagnols les plus vulnérables : « Un grand nombre de ces réformes continuaient à avoir des effets disproportionnés sur les personnes ayant de faibles revenus, en particulier celles atteintes d’un handicap ou d’une maladie chronique, sur les personnes âgées et sur celles qui avaient besoin de soins de santé mentale ». AI souligne que le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a demandé à l’Espagne de « garantir l’accessibilité et la disponibilité des services à toutes les personnes porteuses de handicaps ». Par ailleurs, l’organisation fait mention d’un cas particulier :

La Cour suprême a rendu un arrêt empêchant une femme cubaine qui avait en toute légalité rejoint sa fille en Espagne de recevoir des soins de santé, au motif que le permis de séjour temporaire délivré à un membre de la famille d’une personne ressortissante de l’UE n’entraînait pas automatiquement l’existence d’un tel droit. Cette décision était contraire aux recommandations adressées à l’Espagne par les Nations unies et le Conseil de l’Europe, qui lui avaient demandé de garantir un accès égal et sans discrimination aux soins de santé.

Amnesty International achève son rapport en mentionnant la persistance de l’impunité pour les crimes commis durant l’époque franquiste : « Aucune enquête n’a été ouverte sur les crimes de droit international, tels que les disparitions forcées et les actes de torture, commis pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) et sous le régime de Franco ». L’organisation regrette que les victimes de violations de droits humains commises sous la dictature soient « privées de leur droit à la vérité, à la justice et à réparation ».

Conclusion

L’analyse comparative des rapports d’Amnesty International sur la situation des droits humains à Cuba, aux États-Unis, en France et en Espagne, permet de tirer plusieurs enseignements. Tout d’abord, l’organisation fait état de sérieuses violations des droits humains dans les quatre pays à l’étude. Ainsi, pour Cuba, AI fait mention d’arrestations arbitraires, d’emprisonnement de journalistes et d’artistes indépendants, de six prisonniers d’opinion, de censure en ligne et d’une indépendance du pouvoir judiciaire pas assez renforcée.

Pour les États-Unis, AI évoque des crimes de guerres, des actes de torture, des détentions arbitraires de femmes, enfants, personnes âgées et handicapées demandeuses d’asile, ce qui constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant, des atteintes aux droits sexuels et reproductifs, des violences faites aux femmes et aux filles issues des populations autochtones, des violations des droits des personnes issues de la diversité sexuelle, une répression à l’encontre de personnes en raison de leurs idées politiques, des atteintes au droit à la liberté d’expression, des emprisonnements arbitraires et pour une durée indéterminée de suspects, des homicides illégaux, des disparitions forcées et une impunité pour les responsables de crimes, des recours à la force meurtrière par des policiers ciblant de façon disproportionnée les jeunes hommes noirs et une application de la peine de mort, y compris contre des personnes porteuses de handicaps mental ou intellectuel.

Pour la France, AI recense des atteintes à la liberté de réunion, un usage disproportionné ou arbitraire de la force par la police, une utilisation d’armes dangereuses par la police ayant entraîné la mort de deux personnes et une mutilation permanente (œil ou main) pour au moins 30 personnes, une impunité pour les responsables de violences policières, de condamnations prononcées à l’issue de procédures expéditives, des arrestations et de poursuite en justice à l’encontre de manifestants pour des faits protégés par les droits humains, des centaines de journalistes blessés par l’utilisation arbitraire ou excessive de la force par la police, la vente d’armes à des pays impliqués dans des violations du droit international humanitaire, une répression politique contre des militants écologistes et des défenseurs des droits des migrants, des violations des droits à la liberté d’expression et à la liberté de religion et de conviction.

Pour ce qui concerne l’Espagne, AI exige la libération immédiate de sept dirigeants catalans condamnés à des peines allant de 9 à 12 ans de prison, dénonce des violences policières ayant entraîné, entre autres, des infirmités permanentes, les atteintes à la liberté d’expression et de réunion, des violations des droits des journalistes, des cas de torture et autres traitements dégradants, des cas de détentions au secret, de violences faites aux femmes et aux filles et une protection insuffisante des victimes, de cas de violations du droit au logement et du droit à la santé, et une impunité persistante sur les crimes commis durant la période franquiste.

Selon ces rapports d’Amnesty International, Cuba ne présente pas la situation la plus grave au sujet des droits humains. Quelles sont donc les raisons de ce courant d’opinion majoritaire au sujet de la situation des droits de l’homme à Cuba, alors qu’il n’est visiblement pas corroboré par la réalité factuelle ? Il semblerait qu’en réalité ce soit davantage le rejet suscité par le système politique à parti unique et le modèle socio-économique étatique présent à Cuba auprès des États-Unis et de la presse occidentale, plutôt que la situation des droits humains, qui explique cette matrice d’opinion dominante.

En 1960, en pleine guerre non déclarée contre la Révolution cubaine, face à la popularité de Fidel Castro à travers le monde et face à l’inefficacité des accusations portées à l’encontre de La Havane au sujet des accointances avec Moscou et le communisme international, l’administration Eisenhower avait décidé d’opter pour une nouvelle approche. Celle-ci fut élaborée par Roy R. Rubottom Jr., alors sous-secrétaire d’État aux Affaires interaméricaines, qui conseilla d’utiliser certains éléments de langage pour expliquer le différend avec Cuba. Les arguments jusqu’alors brandis devaient être remplacés par d’autres, à savoir : « 1. L’élimination de la liberté de la presse à Cuba, 2. Le non-respect des procédures judiciaires, 3. La violation des droits de l’homme28 ». Theodore C. Achilles, ancien ambassadeur des Etats-Unis au Pérou de 1956 à 1960 et conseiller du Département d’État, avait élaboré une approche similaire : « Il serait plus efficace pour nous de nous concentrer sur les peuples d’Amérique du Sud en insistant sur le concept de Castro en tant que dictateur plutôt que Castro en tant que communiste29 ». Là se trouve sans doute une partie de la réponse.


source : https://journals.openedition.org

houssainatou

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Related post