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(rfi.fr)Procès du 13-Novembre, semaine 3: mettre les accusés face à leur propre propagande

 (rfi.fr)Procès du 13-Novembre, semaine 3: mettre les accusés face à leur propre propagande

Diplômé en communication politique à l’université Paris XII, Thibault Guichard, historien à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP), est également doctorant contractuel à l’université Paris VIII. Pour RFI, il suit les auditions du procès des attentats du 13 novembre 2015, et nous livre chaque lundi son regard sur le déroulement des audiences au cours de la semaine précédente.

RFI : Vendredi, un policier, ancien responsable de la Sous-direction antiterroriste (Sdat), a présenté à l’audience des documents de propagande du groupe État islamique, diffusés à la suite des attaques du 13-Novembre. Dans quel but ?

Thibault Guichard : L’audience de vendredi a sans doute soulevé un nouvel enjeu dans ce procès qui en compte déjà tellement. On pourrait le formuler de cette façon : comment le langage de la justice peut-il s’opposer efficacement à celui de la propagande ?

C’est en tout cas le défi qu’a relevé cet ancien responsable de la Sdat venu nous présenter les conclusions de son enquête sur le volet revendication. Celui-ci a d’abord rappelé l’intérêt d’étudier la propagande de l’organisation État islamique (EI), en soulignant le lien très fort qui associe le terrorisme et l’activité propagandiste. Pour résumer, disons que s’imposer dans le champ jihadiste et sur la scène médiatique sont deux choses indissociables.

Le constat était bien sûr vrai avant l’arrivée de l’EI, mais depuis son émergence en 2006, ce nouvel acteur a considérablement renouvelé les codes de la propagande jihadiste, son ampleur ainsi que sa portée, en organisant une diffusion de masse par le biais d’internet, et en mettant en scène des contenus caractérisés par leur violence outrancière.

Comme l’a rappelé l’enquêteur de la Sdat, cette propagande jihadiste poursuit au moins trois objectifs : mobiliser, éduquer et sidérer. D’une part, renforcer le moral de ses partisans, leur capacité opérationnelle. De l’autre, amplifier la terreur et l’effet de sidération chez ses « ennemis ». 

Ainsi, il était indispensable d’intégrer cette dimension propagandiste du terrorisme pour comprendre les logiques et les effets recherchés des attentats du 13-Novembre.

Plusieurs documents de propagande ont donc été diffusés à l’audience : principalement un communiqué de revendication et un anashîd des frères Clain, datés du 14 novembre ; et un clip d’une durée de 17 minutes, de janvier 2016. En quoi étaient-ils susceptibles d’instruire la cour ?

Dans le cadre du procès, la propagande de l’EI est en effet utilisée comme une preuve : les images sont détournées du sens pour lequel elles ont été produites, dans le but de servir l’enquête judiciaire et la recherche d’éléments probants potentiellement retenus à charge contre les accusés, ou simplement utilisés pour relever la contradiction de leur stratégie de défense.

Le décryptage de la vidéo de 17 minutes a ainsi permis d’établir le nombre précis des membres des commandos du 13-Novembre, et la présence parmi eux d’un dixième individu. À partir de son analyse, d’autres hypothèses ont pu être formulées. Par exemple, les décapitations filmées ont été interprétées comme une sorte d’épreuve dans le parcours des jihadistes formés en Syrie. Ce rituel macabre permettait de tester la détermination des jeunes recrues de l’EI, avant leur passage à l’acte en Europe.

L’étude critique de ce clip a aussi montré qu’il avait été réalisé à partir de plusieurs séquences, tournées sur au moins trois périodes distinctes. On y voit en effet neuf membres des commandos du 13-Novembre dont le point commun, au moment de la diffusion en janvier 2016, est d’être tous morts et d’avoir effectué un séjour en Syrie, mais à des dates différentes.

Ainsi, les scènes où l’on voit Akrouh, Aggad, Mostefaï, Amimour, Hadfi et les deux autres futurs kamikazes du Stade de France, ont toutes été filmées dans le désert syrien, en août 2015. Les individus cités revêtent un treillis de couleur sable. Ils récitent un texte puis exécutent un otage, en le décapitant, ou bien d’une balle dans la tête.

La deuxième séquence, celle où l’on entend la voix d’Abaaoud, aurait, quant à elle, été enregistrée lors du retour éclair de ce dernier en Europe, en septembre.

Enfin, la troisième séquence identifiée montre Brahim Abdeslam. Il est seul et s’exerce au tir sur un mur, revêtu d’un uniforme noir. Cette vidéo a vraisemblablement été tournée lors du séjour syrien du jihadiste belge, soit pendant l’hiver 2015 (février).

Or, que nous apprend cette chronologie ? D’abord, que le film de revendication a été préparé bien avant les attaques de novembre. Surtout, que ces attaques furent programmées, sinon pensées au moins sept mois avant les premiers bombardements français en Syrie, en septembre 2015.

C’est un point important sur lequel a insisté le président Jean-Louis Périès lors de l’audition. La cour pourra s’appuyer sur cette démonstration pour déconstruire l’argumentaire de certains accusés, dont Abdeslam, selon lequel les attentats auraient été commis en réponse à des crimes de guerre français.

Au-delà des informations fournies par la propagande de l’EI, y a-t-il aussi d’autres enjeux à diffuser ces images dans l’enceinte du tribunal ?

Je dirai qu’un autre enjeu est celui de la confrontation des onze hommes assis dans le box avec ces images.

Votre question m’amène en fait à constater que ces images sont porteuses d’une d’altérité radicale. Les visionner, même après les avoir expurgées de leurs scènes les plus atroces, ou écouter les paroles entêtantes des anashîd des frères Clain, demeurent pour nous une expérience sidérante. Mais, pour les autres acteurs de ce procès ?

L’espace particulier du tribunal met en coprésence toutes les parties, l’accusation et la défense, les victimes et les accusés, à qui les images étaient donc également adressées. Il s’est aussi agi, à travers ces diffusions, de mettre les accusés face à leur propre propagande, qui peut aussi être vue comme le témoignage de leur adhésion présumée à une forme d’hostilité radicale contre le reste de la société.

La question qui se pose serait donc celle des effets de cette confrontation. Mais, cette question reste pour le moment en suspens.

houssainatou

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