Ce vendredi 28 mai, est célébré le trentième anniversaire du renversement du régime de terreur dirigé par Mengistu Hailé Mariam, aujourd’hui en exil. Ce jour de fête nationale salue, certes, la chute d’un système tyrannique vieux de 17 ans, mais aussi le souvenir d’une journée très particulière. Publicité
Le soleil ne s’est pas encore levé sur Addis-Abeba. Depuis une semaine que le dictateur Mengistu Hailé Mariam a quitté précipitamment l’ancien palais impérial devant l’avancée des rebelles, les habitants de la capitale éthiopienne attendent le coup d’après, dans l’anxiété. Officiellement, tout est pareil. Mais, une fois le « Négus rouge » hors jeu, le statu quo ne peut pas durer, ils le savent.
Toute la semaine, on a vu des choses invraisemblables. Dès le lendemain du départ de Mengistu, le 22 mai, en plein cœur de la ville, pour la première fois depuis vingt ans, des manifestants euphoriques ont dansé autour de la statue de Lénine tombée à terre, déboulonnée par les autorités intérimaires. Le même après-midi, la radio a annoncé la libération de 200 prisonniers politiques, indiquant ainsi que les nouveaux dirigeants souhaitaient tourner la page de la tyrannie. Les commerces ont timidement rouvert, les taxis sont ressortis, les grandes avenues se sont de nouveau peuplées d’épaules couvertes du châle blanc traditionnel : la vie a semblé reprendre un cours presque normal, dans une ville pourtant en état de siège et sillonnée par les chars des forces spéciales.
Mais les troupes du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FPRDE) encerclaient toujours Addis-Abeba, enfermée dans sa cuvette d’altitude. La ville était privée de ses routes de ravitaillement en carburant et l’artillerie rebelle menaçait d’abattre tout avion qui s’approcherait de l’aéroport international. Le 24 mai, dans les provinces du nord, leurs alliés du Front populaire de libération de l’Érythrée ont mis la garnison d’Asmara en déroute et pris définitivement le contrôle de leur capitale, après quasiment trente ans de maquis. Ceux qu’on appelait les « Woyane » (les « bandits ») ont donc lancé un ultimatum de reddition aux héritiers du régime chancelant, qui s’étaient maintenus au pouvoir malgré la fuite de leur chef. Et dans l’étonnement général, le secrétaire d’État adjoint américain aux Affaires africaines, Herman Cohen en personne, a fini par les inviter publiquement à « entrer dans Addis-Abeba pour rétablir l’ordre ».
Addis-Abeba tombe en quelques heures
Alors, le 28 mai à l’aube, un ultime combat se livre entre la coalition armée commandée par les guérilleros tigréens campant en périphérie et les dernières unités loyalistes accrochées aux bâtiments officiels. À cinq heures trente, juste avant le lever du jour, des coups de canons se mettent à résonner autour du camp retranché du « Vieux Guebi », l’ancien domaine impérial qu’occupait Mengistu jusqu’à sa fuite. Des combats décisifs sont engagés. Le jour se lève tandis que, dans le palais présidentiel, la garde d’élite résiste pendant deux heures aux vagues de commandos de rebelles, en uniformes dépareillés mais très disciplinés, infiltrés dans la nuit. Puis, les combats se déplacent vers l’aéroport. Le principal commissariat de police, la grande place de la Révolution et plusieurs ministères sont pris. La radio tombe à son tour, d’où les rebelles font diffuser en boucle un message, assurant qu’ils sont « avec le peuple ». Les rebelles, foulard de couleur autour de la tête, se déploient alors partout dans la capitale. Les tirs cessent en début d’après-midi. Addis-Abeba tombe ainsi, en quelques heures.
Cette folle matinée signe la fin d’un régime qui ne tenait plus qu’à un fil. Celui du « Derg », d’abord – un acronyme de « Comité militaire administratif provisoire », en amharique –, une junte d’officiers marxistes-léninistes ayant renversé le vieil empereur Hailé Sélassié Ier, le 12 septembre 1974, et le faisant étouffer sous un oreiller imprégné d’éther quelques mois plus tard. Puis celui, plus personnel, plus loufoque et plus cruel, du lieutenant-colonel Mengistu Hailé Mariam, un officier froid et un peu comédien, pas encore quadragénaire, ayant pris la tête du Derg le 3 février 1977 à la faveur d’un coup de force interne et d’une purge de ses anciens camarades.
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Le règne sans partage de Mengistu durait depuis quatorze ans quand il a été exfiltré vers l’étranger par ses propres collaborateurs, le 21 mai, conformément à un plan ourdi par des diplomates américains, selon Herman Cohen. Alors qu’à Londres, des pourparlers ne donnaient rien, ils lui ont fait croire qu’il partait à la rencontre du chef tigréen Meles Zenawi, pour régler la question d’homme à homme. Mais après un simple arrêt à Nairobi, raconte l’historien Marc Fontrier, son quadrimoteur est reparti vers Harare, capitale du Zimbabwe, où son ami Robert Mugabe lui a réservé une villa, un revenu et une immunité. Au moment de la chute définitive de son régime, le 28 mai, Mengistu a tout écouté à la radio.
La fin d’un système de terreur implacable
C’est cette date qui est désormais célébrée en Éthiopie comme la fête nationale. Et elle sera une fois de plus célébrée comme telle, ce vendredi, malgré le contexte actuel, où le gouvernement fédéral est en guerre dans le Tigré contre un TPLF redevenu officiellement « terroriste » aux yeux des autorités fédérales
Toutefois, le 28 mai, pour la plupart des Éthiopiens, ne célèbre pas la victoire d’un mouvement politico-militaire sur un autre : elle commémore plutôt la fin d’un système de terreur implacable où aucune forme de dissidence n’était tolérée, d’une société militarisée à outrance, mais économiquement, militairement et politiquement à bout de souffle depuis la rupture avec l’URSS à la fin des années 1980.
Aujourd’hui octogénaire, Mengistu Hailé Mariam vit toujours dans sa villa luxueuse de Harare, avec sa famille et ses proches. Pour lui, désormais les souvenirs de mai 1991 sont sans doute lointains, quoiqu’il ait été officiellement condamné à mort par la justice de son pays en 2008, au terme d’un procès fleuve de plus de dix ans pour « génocide ». Il ne s’exprime pas en public mais, selon ceux qui lui ont rendu visite, le vieil homme ne regrette rien.
► Sur RFI Savoirs : Mengistu reconnu coupable de génocide